Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/336

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traîne ma vie dans ces forêts, parmi les demeures et les repaires déserts des bêtes fauves ; depuis que, caché derrière un rocher, j’observe les Cyclopes dont les pas et la voix me glacent d’épouvante. Des baies, des cornouilles pierreuses, des herbes avec leurs racines arrachées à la terre, telle est ma chétive nourriture. Tandis que, de tous côtés, je portais mes regards sur les mers, j’ai vu vos vaisseaux s’approcher du rivage : qui que vous fussiez, je me suis livré à vous, trop heureux de pouvoir échapper à cette horrible race. Disposez de ma vie : toute autre mort me semble préférable. »

À peine il achevait ces mots, nous voyons, au sommet de la montagne, se mouvoir une masse énorme : c’était le pasteur Polyphème, au milieu de ses troupeaux, s’avançant vers le rivage accoutumé : monstre horrible, informe, immense, à qui la lumière a été ravie. Un pin dépouillé de ses feuilles guide sa main et affermit ses pas. Ses brebis l’accompagnent, seule joie qui lui reste, seule consolation de ses maux. Dès qu’il a atteint le rivage et touché les flots, il lave le sang qui coule de son œil arraché, frémit et grince des dents, puis s’avance au milieu de la mer, et les flots ne montent point jusqu’à ses flancs élevés.

Tremblants à cet aspect, nous précipitons notre fuite ; le Grec