Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/356

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petit Énée, qui me retraçât les traits de son père, je ne me croirais pas tout à fait trahie et délaissée ! »

Elle dit. Docile aux ordres de Jupiter, Énée tient les yeux baissés, et s’efforce de comprimer, dans son cœur, le trouble qui l’agite. Enfin il répond en peu de mots : « Reine, je ne nierai point les bienfaits dont vous m’avez comblé, et votre bouche peut les rappeler sans crainte : le souvenir d’Élise me sera cher, tant que je me souviendrai de moi-même, tant qu’un souffle de vie animera mon corps. Dans cette grave conjoncture, je me bornerai pourtant à peu de mots : je n’ai jamais compté, soyez-en sûre, partir furtivement et vous cacher ma fuite ; mais jamais, non plus, je n’ai promis d’allumer les flambeaux de l’hymen, et ce n’est pas pour former cette alliance que je suis venu. Si les destins m’eussent permis de régler ma vie à mon gré, et de mettre fin à mes soucis selon mes vœux, fidèle, avant tout, au culte d’Ilion et des précieux restes de ma patrie, je relèverais le palais de Priam, et j’aurais bâti pour les vaincus une Pergame nouvelle. Mais aujourd’hui c’est dans la grande Italie que m’appelle Apollon de Gryna ; c’est l’Italie que les oracles de la Lycie m’ordonnent d’occuper : là est mon amour, là est ma patrie. Si les murs de Carthage et si l’aspect d’une ville de Libye ont pu vous retenir, vous que Tyr a vue naître, pourquoi envier aux Troyens l’empire de l’Ausonie ?