Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/37

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goût et d’un même amour les deux poëtes et les deux amis, et nous avons bien raison. Mais c’est le moment de le dire : je ne crois pas, en y regardant de près, qu’il en ait été ainsi dès l’abord, et qu’il y ait eu égalité entre eux pour le degré et l’étendue de leur réputation et de leur autorité chez les Romains. Horace fut bientôt mis sans doute aux mains des enfants dans les écoles des grammairiens, comme l’était Virgile ; il y était expliqué, bien qu’avec certaines réserves que Quintilien indique, et il faisait partie de l’éducation classique. Les gens de goût et les connaisseurs appréciaient comme on le doit son tact moral délicat et son curieux bonheur d’expression. Néanmoins ce poëte si cher aux modernes, si digne de l’être par tout ce qu’il rassemble d’exquis en bien des genres, n’est pas constamment et perpétuellement cité parmi ses compatriotes. Velleius Paterculus, écrivant au lendemain du règne d’Auguste, a pu l’omettre (chose singulière !) dans l’énumération des quatre ou cinq noms d’auteurs célèbres qu’il choisit en courant pour figurer le grand siècle. Plus tard, Fronton parlant de lui l’appelle un poëte mémorable. Mais Virgile, il ne saurait être ni oublié ni loué ainsi : du premier jour, c’est le poëte ; il est dans toutes les bouches ; on le voit cité sans cesse. Il n’est presque pas une seule lettre de Sénèque à Lucilius où Virgile n’entre pour quelques vers. Sénèque aurait pu dire de Virgile, à la lettre : C’est le poëte qui habite ma pensée. — À dater de Virgile, les Romains ont droit de croire qu’ils sont en effet dispensés d’Homère ; ils ont leur prince des poëtes à eux.

Jusqu’alors les grammairiens à Rome avaient été des Grecs pour la plupart, et c’était en grec aussi qu’ils faisaient les principaux exercices de leur enseignement, un peu comme chez nous, où, avant le siècle de Louis XIV, on ne parlait que latin dans les écoles. Une réforme, on l’entrevoit, a lieu à partir de Virgile : les grammairiens deviennent Latins ; ils s’accoutument à faire en latin leurs exercices ; ils ont à lire et à interpréter les poëtes nouveaux,