Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/39

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portance et la nécessité pour que le poëme ait vie, — une vie réelle à sa date et parmi les contemporains, et non pas une vie froide pour quelques amateurs dans le cabinet, — la nécessité d’un élément moderne, d’un intérêt moderne actuel et jeune, cet intérêt ne fût-il qu’adapté et comme infusé dans un sujet ancien. Et puisqu’il s’agit d’une discussion classique, d’abord nous avons pour nous Homère : dès le premier chant de l’Odyssée, Phémius assiste au festin des prétendants ; il y chante les malheurs de la guerre de Troie, et les infortunes du retour. Pénélope l’entend du fond de son appartement : elle descend et l’engage à chanter tant d’autres actions des hommes et des Dieux, dont il sait les poétiques récits, mais à s’abstenir du sujet récent et funeste qui réveille en elle toutes ses conjugales douleurs. Télémaque se fâche presque, et prend le parti du chantre : « Ma mère, pourquoi reproches-tu au chantre harmonieux de nous chanter selon que sa pensée s’élance et le lui inspire ? Ce n’est point aux chantres qu’il faut s’en prendre, c’est à Jupiter seul, lequel donne selon qu’il lui plaît aux humains, à chacun son lot. Il n’y a pas à se fâcher contre celui-ci de ce qu’il chante le mauvais destin des Grecs ; car le chant que les hommes applaudissent le plus, c’est celui qui est le plus récent et le plus nouveau pour ceux qui l’écoutent. » C’est cette nouveauté qu’il faut savoir introduire à propos dans tout chef-d’œuvre, et combiner avec les conditions durables, éternelles, sans quoi il n’y a pas émotion et fièvre, sans quoi il n’y a pas flamme.

Virgile l’a su faire autant et plus qu’aucun poëte épique depuis Homère. Combien n’y avait-il pas eu en Grèce de ces poëtes cycliques, épiques, aux diverses époques ! que de talents dont les œuvres ont péri, et dont nous savons à peine les noms, un Arctinus, un Leschez, un Pisandre, un Panyasis, oncle d’Hérodote, un Antimaque, tous noms autrefois célébrés à la suite d’Homère ! Chœrilus, dès le temps de la guerre du Péloponnèse, se plaignait de venir trop tard, et que la prairie des Muses fût tout entière dépouillée de