Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/42

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d’être trop sensible à l’applaudissement populaire ; et Brutus, et ceux qui immolent tout autre sentiment à la liberté, qui leur paraît plus belle ; les Décius, les Drusus, les Camille. En apercevant de loin les âmes de César et de Pompée, qui semblent d’accord tant qu’elles restent dans l’ombre, et que désunira la gloire, le pressentiment de ces terribles guerres civiles entre le beau-père et le gendre le ressaisit ; il rompt encore une fois son énumération et laisse échapper vers sa postérité un cri de miséricorde, un cri de clémence qu’entendra César : « Sois le premier à jeter bas les armes, toi qui es mon sang. »

Anchise, par un naturel et heureux désordre, s’écarte ainsi, à tout moment, de la suite chronologique et se porte où son cœur l’appelle, c’est-à-dire à ce qui était l’émotion vivante à l’heure où chantait Virgile.

Après une courte reprise où il va retrouver des héros oubliés, Mummius, Paul-Émile, ces vainqueurs des Grecs et ces vengeurs de Troie ; le nom inévitable de Caton ; les Gracques ; les Scipions, ces foudres de guerre ; le grand Fabius ; il résume tout le génie de sa prophétique histoire dans cette célèbre et grandiose définition de la vertu propre et de la qualité romaine : « À d’autres les triomphes de l’art, les merveilles de la statuaire, de l’éloquence, de la science même des cieux : à vous, Romains, l’art de gouverner les peuples, de savoir dicter la paix ou la guerre, de pardonner aux vaincus et d’abaisser les superbes : à vous d’être la nation positive et politique par excellence, le peuple-roi. »

Dans cet immortel passage dont je n’exprime que l’essence, le vieil Anchise a promulgué le texte magnifique que n’auront qu’à développer et sur lequel vivront ensuite tous les Machiavel et les Montesquieu.

Pour clore par une touchante et jeune image, Anchise, interrogé par Énée, indique comme à regret et révèle avec délicatesse le nom de ce beau jeune homme au regard triste, qui accompagne le grand et triomphant Marcellus ;