Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/550

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après avoir passé une grande partie de la nuit au jeu, enfin vaincu par Bacchus, s’abandonnait au sommeil. Heureux, s’il avait fait durer son jeu autant que la nuit, et s’il eût veillé jusqu’au jour ! Tel un lion affamé porte le ravage dans une bergerie : poussé par une faim cruelle, il dévore et déchire le faible troupeau, muet d’épouvante, et, d’une gueule ensanglantée, il pousse d’affreux rugissements.

Euryale ne fait pas un moindre carnage : une égale fureur l’anime. Une foule de guerriers sans nom, Fadus, Herbesus, Rhétus, Abaris, reçoivent un trépas imprévu. Rhétus veillait et voyait tout ; mais, dans son effroi, il se tenait caché derrière un immense cratère : au moment où il se lève pour s’enfuir, Euryale lui plonge son épée tout entière dans la poitrine, et l’en retire après une mort certaine. Rhétus expire et rend avec son âme des flots de vin mêlés de sang. Déjà l’ardent Euryale, poursuivant ses exploits furtifs, était parvenu au quartier de Messape, où il voyait les derniers feux s’éteindre, tandis que les coursiers, attachés, broutaient le gazon : Nisus s’apercevant que la fureur du carnage emportait trop loin son jeune ami : « C’en est assez, dit-il ; le jour va nous trahir ; nous sommes suffisamment vengés : la route nous est ouverte à travers les rangs ennemis. »