Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quité à laquelle nous atteignons si aisément, et dont le commerce n’a pas cessé de nous être facile, serait trop incomplète, serait trop inactive et trop morte si l’on n’en tirait à l’occasion les conséquences naturelles et les leçons qui peuvent nous convenir et nous éclairer. Or quelle leçon nous donne avant tout le génie, l’art de Virgile, lorsqu’on en a parcouru en idée les principaux mérites et qu’on le considère un moment dans son ensemble ?

Une leçon de goût, d’harmonie, de beauté humaine soutenue et modérée. Essayons un peu d’opposer à cette impression que l’on doit au noble poëte quelques-uns de nos défauts habituels ; et, pour ne rien choquer, qu’on me laisse un moment métamorphoser les choses, leur donner un air de mythologie, en les revêtant de quelques-unes des images et des figures que la lecture même de Virgile et des anciens nous suggère.

Je me suis quelquefois demandé ce qu’un de ces personnages extraordinaires, fabuleux, monstrueux en partie, qui ont du divin et de la bête, un de ces Titans qui voulurent escalader le Ciel et que Jupiter foudroya ; ou cet Encelade qui faisait bouillonner l’Etna et trembler toute la Sicile toutes les fois qu’il se remuait ; ou bien ce Cyclope cousin des Titans et géant lui-même, ce Polyphème qui, dans sa jeunesse pourtant, jouait si habilement de la flûte : ou bien un de ces Sphinx de mystère, une de ces magiciennes dont il nous est fait de si terribles peintures, mais qui avaient aussi quelques parties supérieures et spécieuses, et le don de divination et de prophétie ; une de ces Nymphes, de ces déesses secondaires qui ont quelque chose en elles de la Chimère ou de la Sirène ; ou quelqu’un encore de ces demi-dieux champêtres qui bondissaient à la suite du dieu Pan ; un de ces êtres, en un mot, qui sont à la fois au-dessus et au-dessous de l’homme (et, prenons garde ! cet être-là, c’est bien aisément nous-mêmes si nous n’avons reçu du Ciel le plus heureux mélange, et pour peu que nous nous abandonnions), — je me suis donc demandé ce qu’il