Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/21

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de décrire, et je m’approchais de ce séjour de la mort, depuis long-temps abandonné, lorsque j’entendis, non sans quelque surprise, des sons différents de ceux qui chaque jour troublaient si agréablement cette solitude, l’aimable murmure du petit ruisseau et le souffle des zéphyrs se jouant dans les rameaux de trois frênes gigantesques qui servaient à désigner le cimetière ; je distinguai le son aigu d’un marteau. Je craignis alors que les deux propriétaires dont les domaines étaient divisés par mon ruisseau favori, ne missent à exécution le projet qu’ils avaient conçu d’établir une espèce de digue, dont la difformité rectiligne se trouverait ainsi substituée aux détours gracieux du charmant ruisseau servant de limites naturelles aux domaines qu’arrosait son cours[1].

En approchant je fus agréablement détrompé. Un vieillard était assis sur le monument élevé à la mémoire des presbytériens massacrés ; il était profondément occupé à retracer avec son ciseau les lettres de l’inscription, qui, annonçant en style biblique les bénédictions futures promises à ceux qui avaient péri, portent contre les meurtriers un anathème correspondant à l’horreur du crime. Un bonnet bleu, d’une grandeur plus qu’ordinaire, couvrait les cheveux gris de ce pieux vieillard ; son habillement était composé d’un vieil habit de drap grossier, appelé hoddingrey, vêtement habituel des vieux paysans ; sa veste et sa culotte étaient de la même étoffe, et le tout paraissait avoir fait un long service. De gros souliers ferrés, garnis d’énormes clous, et des guêtres faites avec un drap noir épais, complétaient son accoutrement. Non loin de lui paissait, au milieu des tombeaux, un cheval, le compagnon de ses voyages ; la blancheur extrême de l’animal, ses os saillants, ses yeux enfoncés, attestaient sa vieillesse. Il était harnaché de la manière la plus simple, avec un licol ou corde de crin, et un sunk ou coussin de paille, au lieu de bride et de selle ; une poche en toile pendait au cou de l’animal, sans doute pour renfermer les outils du maître, ainsi que tout ce qu’il pouvait porter avec lui. Quoique je n’eusse jamais vu ce vieillard

  1. Il est utile, je pense, d’apprendre au lecteur que cette borne ou limite entre les domaines de lord Gandercleugh et ceux de lord Gusedub devait être un agger, ou plutôt un murus d’un granit non cimenté, appelé par le vulgaire digue de pierres sèches, et surmonté ou terminé par un talus en gazon. Mais Leurs Seigneuries se brouillèrent pour un demi-arpent de terre marécageuse, situé près de l’endroit appelé le Bedral’s Beild ; et la contestation, ayant été long-temps pendante devant les juges du lieu où sont situés les domaines, elle fut ensuite portée à l’assemblée des nobles, à Londres même, où elle est en ce moment ; comme on dit, adhuc in pendente. j. c.