Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et bizarre : « est-ce le temps de parler de paix, quand la terre est ébranlée, quand les montagnes sont entr’ouvertes, les rivières changées en sang, et le glaive à deux tranchants tiré du fourreau pour s’abreuver de sang, pour dévorer la chair comme le feu dévore le chaume desséché. »

En parlant ainsi, l’orateur s’élança au milieu du cercle, et offrit aux yeux étonnés de Morton une figure digne d’une telle voix et d’un tel langage. Un habit en haillons, jadis noir, et des lambeaux d’un manteau de berger, composaient son costume, à peine suffisant pour satisfaire à la décence, et moins encore pour garantir du froid. Une longue barbe, blanche comme la neige, descendait sur sa poitrine, et se mêlait à une chevelure grise, touffue, tombant en désordre autour de son visage farouche et égaré. Ses traits, amaigris par la faim, avaient à peine conservé quelque chose d’humain. Son œil gris, féroce et hagard, indiquait une imagination en désordre. Il tenait un sabre rouillé, teint de sang aussi bien que ses mains longues et sèches, et ses ongles ressemblaient aux serres d’un aigle.

« Au nom du ciel quel est cet homme ? » dit tout bas à Poundtext Morton surpris et presque effrayé à cette horrible apparition, qu’on eût prise pour le fantôme de quelque prêtre cannibale, ou d’un druide teint du sang de victimes humaines, plutôt que pour un habitant de la terre. — « C’est Habacuc Mucklewrath, » répondit Poundtext sur le même ton, « que l’ennemi a si long-temps retenu prisonnier dans des forts et des châteaux, que son esprit s’est égaré, et qu’il est, je le crains bien, possédé du démon. Néanmoins, les plus violents de nos frères croient qu’il est inspiré par l’Esprit, et que ses paroles fructifient en eux. »

Il fut alors interrompu par Mucklewrath, qui répéta d’une voix à ébranler les solives de la cabane : « Qui parle de paix et de sauf-conduit ? qui parle de merci pour la race sanguinaire des réprouvés ? Je dis qu’il faut prendre les enfants et les écraser contre les pierres ; prendre les filles et les femmes, et les précipiter du haut de ces murailles dans lesquelles elles ont mis leur confiance, afin que les chiens puissent s’engraisser de leur sang, comme ils ont fait du sang de Jézabel, l’épouse d’Achab, et que leurs cadavres pourrissent et servent d’engrais sur le champ de leurs pères. — C’est bien parler ! » s’écrièrent aussitôt plusieurs voix sombres et terribles ; « nous rendrons peu de services à la bonne cause, si nous faisons déjà bon marché aux ennemis du ciel. — C’est le