Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/346

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d’assez belles moissons. Mais si vous aviez vu le sang couler sur ce pont là-bas, aussi abondamment que l’eau coule maintenant dessous, vous auriez été moins charmé de ce spectacle. — Vous voulez parler de la bataille qui se donna il y a quelques années ? J’étais près de Montmouth, mon bon ami, et je vis quelque chose de cette affaire. — Alors, vous avez vu une fameuse bataille, et qui m’a guéri de l’envie de me battre pour le reste de mes jours. Je me doutais bien que vous aviez servi, à votre habit rouge galonné et votre chapeau retroussé. — Et de quel côté vous battiez-vous ? — Ah, ah ! » reprit Cuddie avec un regard malin, ou du moins qu’il croyait tel, « il n’y a pas d’utilité à dire cela, à moins que je ne sache qui me le demande. — J’approuve votre prudence, mais elle n’est pas nécessaire ; car je sais que vous étiez là comme domestique d’Henri Morton. — Oui, » dit Cuddie frappé de surprise ; « mais comment savez-vous ce secret ? non que j’aie besoin de m’inquiéter de cela maintenant ; car aujourd’hui le soleil est de notre côté de la haie. Plût à Dieu que mon maître fût en vie pour en être témoin ! — Et qu’est-il devenu ? demanda le voyageur. — Il a péri avec le vaisseau qui le portait en Hollande ; ce n’est que trop certain ; pas un homme de l’équipage n’a échappé, et mon maître est mort avec eux. On n’a entendu parler ni d’un mousse ni d’un matelot. »

Et Cuddie laissa échapper un soupir.

« Vous aviez de l’affection pour lui ? — Comment n’en aurais-je pas eu ? Sa vue vous réjouissait comme celle d’une belle personne ; on ne pouvait le regarder sans l’aimer, et c’était un si brave soldat ! Ah ! si vous l’aviez vu, à ce pont là-bas, courir comme un dragon volant pour forcer à se battre des gens qui n’en avaient pas trop d’envie ! Il y avait avec lui ce forcené whig qu’on appelait Burley. Si deux hommes pouvaient à eux seuls gagner une bataille, ce jour-là ne nous eût pas coûté si cher. — Vous parlez de Burley : savez-vous s’il vit encore ? — Je ne sais pas grand’chose sur son compte. On a dit qu’il a passé en pays étranger, mais que les nôtres ne voulurent avoir aucune communication avec lui, parce qu’il avait pris part à l’assassinat de l’archevêque. Il est donc revenu ici, dix fois plus intraitable qu’auparavant ; il a rompu avec presque tous les presbytériens ; enfin, à l’arrivée du prince d’Orange, il n’a pu obtenir ni place ni commandement, à cause de son caractère difficile. Depuis on n’a plus entendu parler de lui. Seulement il y en a qui prétendent que l’orgueil et la co-