Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/365

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intentionnée sans doute, mais trop prématurée ! Sa raison est perdue à jamais, si des soins et du repos ne suffisent pour la lui rendre. »

À cet instant la porte s’ouvrit, et Holliday, devenu le principal domestique de lord Evandale depuis qu’ils avaient quitté le régiment des gardes, à l’époque de la révolution, se précipita dans la chambre : jamais homme saisi d’épouvante n’eut un visage plus pâle et plus défait.

« Qu’y a-t-il, Holliday ? » lui cria son maître. « A-t-on découvert la… ? »

Il eut assez de présence d’esprit pour ne pas achever cette question délicate.

« Non, monsieur, ce n’est pas cela… ce n’est rien de pareil ; mais j’ai vu un esprit. — Un esprit ! idiot incorrigible, » s’écria lord Evandale, perdant toute patience. « Tout le monde s’est-il donné le mot pour me faire perdre la tête ?… Et quel esprit avez-vous vu, imbécile que vous êtes ! — L’esprit de Henri Morton, répliqua Holliday, le capitaine whig du pont de Bothwell ; il a passé près de moi comme un feu follet pendant que j’étais dans le jardin. — C’est une fièvre au cerveau occasionnée par la grande chaleur, dit lord Evandale, où il y a là-dessous quelque complot. Jenny, accompagnez votre maîtresse dans sa chambre pendant que je tâcherai de découvrir ce mystère. »

Mais les recherches de lord Evandale furent vaines. Jenny qui, si elle l’eût voulu, aurait donné l’explication la plus satisfaisante,

    entendirent un grand bruit dans le parloir où ils étaient assis, comme si quelqu’un fût entré par la porte qui donnait dans la salle, et se fût dirigé à travers le parloir, du côté du jardin, dont la porte était ouverte. Ils furent tout surpris, car le bruit était parfaitement distinct, mais ils n’avaient rien vu.
    «  Cet incident suspendit l’affaire dont on était occupé ; mais la femme, qui ne perdait pas de vue ses projets, voulut qu’on achevât. « Je ne suis pas effrayé », dit-elle, non, je ne le suis pas. Venez, » continua-t-elle en s’adressant à son mari d’un ton résolu ; « j’annulerai l’ancien acte quand même quarante diables seraient dans la chambre. » En parlant ainsi, elle s’empara du papier, et allait le mettre en pièces : mais le double Ganger ou Eidolon (image ou représentation) d’Alexandre était aussi opiniâtre à défendre ses droits que sa marâtre à les envahir.
    « Au moment même où elle allait anéantir le papier, la fenêtre s’ouvrit quoiqu’elle fût fermée en dedans, comme elle l’avait été auparavant, et l’on vit dans le jardin l’ombre d’un homme se tenant debout, le visage tourné vers la chambre, et regardant fixement la fenêtre d’un air sombre et irrité. Après cette deuxième interruption le nouvel acte fut scellé, du consentement de toutes les personnes présentes ; et Alexandre, environ trois ou quatre mois après, arriva des Indes orientales, pour lesquelles il s’était embarqué, quatre années auparavant, à Londres, sur un navire portugais. Il ne put donner aucune explication de ce qui était arrivé, sinon qu’il avait rêvé que son père lui avait écrit une lettre très sévère, où il le menaçait de le déshériter. » (Histoire et Réalité des Apparitions, chap. viii).