Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/418

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autorité dont jouit aujourd’hui ce vieux bigot, ce Lucas de Beaumanoir. Voilà le sort qui m’attend, sort inévitable, si je ne soutiens dans la lice de Saint-George l’équité d’un jugement qui te livre à la mort. Maudit soit ce Goodalricke qui m’a dressé un pareil piège ! et doublement maudit Albert Malvoisin qui m’a détourné de la résolution que j’avais prise de jeter ton gant à la figure de ce fanatique vieillard qui avait accueilli une accusation si absurde contre une créature aussi aimable, aussi magnanime que toi !

— Mais à quoi sert ce jargon emphatique de la flatterie ? Tu étais libre de choisir entre le sang d’une fille innocente et la conservation de ton rang et de tes espérances temporelles : ton choix est fait : à quoi sert de discuter ?

— Non, Rébecca, » dit le chevalier d’un ton plus doux et en se rapprochant d’elle, « mon choix n’est pas fait encore ; je dis plus, écoute-moi bien, c’est toi qui dois le faire. Si je parais dans la lice, il faut que je soutienne ma renommée comme guerrier ; et par conséquent, que tu aies un champion ou que tu n’en aies pas, tu meurs sur le bûcher ; car il n’existe aucun chevalier qui ait combattu contre moi avec des chances égales, encore moins avec supériorité, si j’en excepte Richard Cœur-de-Lion et son favori Ivanhoe. Ivanhoe, tu ne l’ignores pas, est hors d’état de revêtir son armure, et Richard est prisonnier en pays étranger. Ainsi donc, si je me présente dans la lice, tu meurs, quand bien même tes charmes engageraient quelque jeune écervelé à prendre ta défense.

— Mais à quoi bon me répéter cela si souvent ?

— Parce qu’il est essentiel que tu envisages ton destin sous tous ses différents aspects.

— Eh bien ! retourne la médaille, que j’en voie l’autre côté.

— Si je me présente dans la lice, tu meurs d’une mort lente et cruelle, accompagnée de tourments égaux à ceux que l’on dit être destinés aux damnés dans l’autre monde. Mais si je ne me présente point, je suis un chevalier dégradé et déshonoré, accusé de sorcellerie et de communiquer avec les infidèles ; le nom illustre que je porte, et que j’ai rendu encore plus illustre par mes exploits, devient une dénomination de mépris et de reproche ; je perds la réputation ; je perds l’honneur ; je perds la perspective d’une grandeur qui me mettrait au dessus des empereurs même ; je sacrifie tous mes projets d’ambition ; je détruis des plans tous aussi élevés que les montagnes au moyen desquelles les païens racontent que leur ciel faillit être escaladé et cependant, Rébecca ! » ajouta-