Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/83

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pourraient-ils exciter Gurth à rendre un service ? comment les veilles ou le jeûne pourraient-ils le porter à vous prêter une mule ? Moi, je pense que vous eussiez obtenu une réponse tout aussi polie du favori de Gurth, de son cochon noir, si vous eussiez pris le parti de parler à la pauvre bête et de votre repentir et de vos veilles.

— Imbécile Saxon, » dit le pèlerin.

« C’est vrai, dit le bouffon ; si, comme toi, j’étais Normand, car je te suppose tel, j’aurais eu pour moi le sort, et j’aurais été plus sage. »

Gurth parut en ce moment avec les mules de l’autre côté du fossé. Les voyageurs traversèrent le pont-levis, formé seulement de deux planches. Le peu de largeur de ce pont répondait exactement à celle de la fausse porte ; un petit guichet pratiqué à la palissade extérieure donnait accès dans la forêt. Ils n’eurent pas plus tôt atteint les mules, que le Juif se hâta de fixer sur la selle, de ses mains tremblantes, un petit sac de bougran bleu, qu’il tira de dessous son manteau, et qui, marmottait-il, ne contenait autre chose qu’un habillement de rechange. Alors, s’élançant sur l’animal avec une vivacité et une ardeur que, d’après son âge, on ne pouvait lui supposer, il se hâta de disposer les pans de son manteau de manière à dérober tout-à-fait aux regards le fardeau qu’il avait eu soin de placer en croupe. Le pèlerin monta avec moins de précipitation, et tendit, en partant, sa main à Gurth, qui la baisa avec les marques d’un respect vraiment inexprimable. Le porcher, sans quitter la place qu’il occupait, restait les yeux attachés sur les voyageurs jusqu’à ce qu’ils se fussent perdus sous les branches de la forêt, lorsqu’il fut tiré de sa rêverie par la voix de Wamba.

« Mon bon ami Gurth, dit le bouffon, sais-tu que ce matin tu es d’une obligeance vraiment étrange, et d’une piété que je ne t’ai jamais vue. Ah ! que ne suis-je un père prieur ou un pauvre pèlerin, je profiterais au moins de ton zèle et de ta politesse inaccoutumée, et certes j’en tirerais un autre prix qu’un baiser sur la main.

— Tu n’es pas assez fou pour cela, Wamba, répondit Gurth ; quoique tu ne raisonnes que sur des apparences ; mais, je le sais, le plus sage de nous n’agit pas autrement. Allons, il est temps d’aller vaquer aux soins de ma charge. » Parlant ainsi il retourna au château, accompagné du bouffon.

Pendant ce temps les voyageurs continuaient leur route avec un empressement qui semblait justifier les craintes violentes du Juif peu disposé, à raison de son âge, à supporter un mouvement rapide et continuel. Le pèlerin, familier avec les tours et les détours