Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/309

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Il y avait dans ce discours quelque chose qui ôta à la comtesse de Leicester tout désir de continuer la conversation ; mais ayant rompu le charme en parlant la premiere à sa compagne de voyage, la bonne dame, qui devait jouer le rôle de dame Gillian de Croydon, dans un des intermèdes, prit soin que la conversation ne tombât point de tout le voyage. Elle entretint sa silencieuse compagne d’un millier d’anecdotes de fêtes à partir du règne du roi Henri, lui détaillant l’accueil que les grands avaient fait à leur troupe, sans oublier le nom des acteurs qui avaient rempli les principaux rôles ; cependant, elle concluait toujours en disant que tout cela n’était rien auprès des fêtes royales de Kenilworth.

« Et quand arriverons-nous à Kenilworth ? » dit la comtesse avec une agitation qu’elle essayait vainement de cacher.

« Nous qui avons des chevaux, nous pouvons de ce pas arriver ce soir à Warwick, et Kenilworth n’est guère qu’à quatre ou cinq lieues au delà ; mais il faudra attendre que nos piétons nous rejoignent, quoiqu’il soit probable que l’excellent lord Leicester enverra des chevaux ou des voitures à leur rencontre, afin qu’ils ne se ressentent pas trop de la fatigue du voyage ; car la fatigue, comme vous pouvez le croire, serait un fort mauvais prélude quand il s’agit de danser devant l’élite du royaume. Et pourtant. Dieu me soit en aide ! j’ai vu un temps où, après avoir fait mes cinq lieues à pied, j’aurais pirouetté toute la soirée sur la pointe du pied, comme un plat d’étain qu’un jongleur fait tourner sur la pointe d’une aiguille. Mais le temps m’a un peu chiffonnée dans ses griffes, comme dit la chanson ; quoique, si la musique et mon partner me conviennent, je puisse encore pincer mon rigodon aussi joliment qu’aucune fille un peu dégourdie du Warwickshire, dont l’âge serait le malheureux chiffre quatre suivi d’un gros zéro. »

Si la comtesse fut assourdie par le bavardage de cette bonne dame, Wayland Smith, de son côté, avait assez à faire à soutenir et à parer continuellement les attaques que lui livrait l’infatigable curiosité de son ancienne connaissance Richard Sludge. La nature avait doué ce maître espiègle d’un penchant à tout épier qui cadrait parfaitement avec la subtilité de son esprit ; de là sa manie d’espionner tout le monde et son ardeur à se mêler des affaires des autres, après avoir acquis la connaissance des choses qui ne le regardaient pas. Il passa toute la journée à pénétrer des yeux sous le voile de la comtesse, et ce qu’il put distinguer ne fit apparemment que piquer sa curiosité.