Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/33

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eu à peine le temps de la voir ; car j’allais lui donner le bonjour, et pour cela j’avais apprêté un sourire…

— Comme celui d’un singe qui lorgne une châtaigne, dit Lambourne.

— Quand tout-à-coup, » continua Goldthred sans avoir égard à cette interruption, « Tony parut en personne, un bâton à la main.

— Et il te roua de coups, j’imagine, pour ton impertinence ? dit son interlocuteur.

— C’était plus aisé à dire qu’à faire, » répondit Goldthred avec colère ; « non, non, il ne m’a pas rossé : il est vrai qu’il leva son bâton, et parla de m’en frapper, en me demandant pourquoi je ne suivais pas la grande route, et d’autres choses comme cela ; mais je lui eusse fendu le crâne pour sa peine, sans la présence de la dame, qui eût pu s’évanouir.

— Foin du lâche au cœur d’esclave ! dit Lambourne ; quel chevalier errant pensa jamais à la frayeur d’une dame en se préparant à combattre en sa présence géant, dragon, ou magicien, pour la délivrer ? Mais à quoi bon parler de dragons à un homme qui fuirait devant un dragon-mouche[1]. Tu as manqué là une bien belle occasion…

— Saisis-la donc, toi, terrible Michel, répondit Goldthred ; le palais enchanté, le dragon et la dame, tout cela t’attend, si tu oses t’y aventurer.

— Moi ? soit, dit le militaire, je le ferai pour une pinte de vin. Mais un instant… je suis assez pauvre en linge ; hé bien ! veux-tu parier une pièce de toile de Hollande contre ces cinq anges, que je vais demain au château et que je force Tony Foster à m’introduire auprès de sa belle recluse ?

— J’accepte la gageure ; quoique tu aies l’impudence du diable, je suis convaincu que je gagnerai. Notre hôte tiendra les enjeux, et je vais déposer de l’or en attendant que je t’envoie la toile.

— Je ne veux pas me charger de tenir les enjeux pour une semblable gageure, dit Gosling. Allons, mon neveu, buvez tranquillement votre vin, et laissez là de pareilles aventures. Je vous assure que M. Foster a assez de crédit pour vous faire coffrer dans le château d’Oxford ou pour forcer vos jambes à faire connaissance avec les ceps de la ville.

— Ce serait renouveler une ancienne liaison ; car les jambes de

  1. Dragon-fly, demoiselle aquatique. Pour conserver le jeu de mots qui existe dans l’original, nous avons hasardé le mot dragon-mouche. a. m.