Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/359

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époque reculée elle était restée en possession de ses domaines aquatiques, malgré les divers personnages pleins de gloire et de puissance auxquels Kenilworth avait successivement appartenu. Les Saxons, les Danois, les Normands, les Saintlowe, les Clinton, les Montfort, les Mortimer, les Plantagenet, tout grands qu’ils étaient par leurs armes et leur magnificence, ne lui avaient jamais fait élever la tête au-dessus de la surface des eaux qui renfermaient son palais de cristal ; mais un nom plus glorieux que tous ces grands noms s’était fait entendre, et elle venait rendre hommage à l’incomparable Élisabeth et mettre à ses pieds tous les divertissements que le château et ses environs, que la terre ou l’onde, pouvaient lui offrir.

La reine accueillit aussi cette harangue avec beaucoup de courtoisie, et répondit en plaisantant : « Nous avions cru, belle dame, que ce lac appartenait à notre royaume ; mais puisqu’une personne aussi célèbre le réclame, nous serons bien aise d’avoir dans quelque autre moment un nouvel entretien avec vous sur nos intérêts communs. »

Après cette gracieuse réponse, la Dame du Lac disparut, et Arion, qui était parmi les divinités maritimes, parut sur son dauphin. Mais Lambourne, qui était chargé de ce rôle en l’absence de Wayland, se trouvant tout transi d’être resté plongé dans un élément dont il n’était nullement l’ami, n’ayant d’ailleurs jamais su son discours par cœur, et ne possédant pas comme le portier l’avantage d’un souffleur, paya d’impudence, et arrachant son masque, il se mit à jurer par son âme et ses os, qu’il n’était ni Orion, ni Arion, mais l’honnête Michel Lambourne, qui avait bu à la santé de Sa Majesté, depuis le matin jusqu’au soir, et qui était venu pour lui présenter ses hommages à Kenilworth.

Cette bouffonnerie impromptu remplit probablement mieux le but que la harangue préparée d’avance ne l’aurait fait. La reine rit de tout son cœur, et jura à son tour que c’était le meilleur discours qu’elle eût encore entendu. Lambourne, qui s’aperçut à l’instant que sa plaisanterie avait sauvé son dos, se hâta de sauter à terre, et, donnant un coup de pied à son dauphin, il déclara qu’il ne voulait plus avoir rien à démêler avec les poissons, à moins que ce ne fût à table. Ce fut au moment où la reine allait entrer dans le château qu’on tira sur la terre et sur les eaux ces mémorables feux d’artifice pour la description desquels maître Lancham, déjà cité, a épuisé toute son éloquence.