Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/425

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l’intérêt véritable qu’il prenait au sort de Leicester donnait à sa voix et à son air une émotion inaccoutumée.

Leicester fut vaincu par le ton de supériorité que venait de prendre son serviteur. Le malheureux comte crut voir son dernier ami prêt à l’abandonner. Il étendit la main vers Varney en lui disant : « Ne m’abandonne pas… Que veux-tu donc que je fasse ?

— Redevenez vous-même, mon noble maître, » dit Varney en touchant de ses lèvres la main du comte, après l’avoir respectueusement saisie entre les siennes. « Montrez-vous ce que vous êtes, supérieur aux orages des passions qui brisent les âmes faibles. Êtes-vous le premier qui ait été trompé en amour, le premier auquel une femme vaine et licencieuse ait réussi à inspirer un amour qu’elle a ensuite méprisé et dont elle s’est joué ? et vous laisserez-vous aller à la frénésie pour n’avoir pas été plus sage que les plus sages des hommes ? Qu’elle soit comme si elle n’avait jamais été qu’elle s’efface de votre souvenir, comme indigne d’y avoir jamais eu de place. Que votre énergique résolution de ce matin, que j’ai assez de zèle et de courage pour exécuter, soit comme le décret d’un être supérieur… un acte de justice sans passion… Elle a mérité la mort… qu’elle meure ! »

Pendant qu’il parlait ainsi, le comte lui pressait fortement la main et comprimait ses lèvres avec violence, comme s’il se fût efforcé de prendre de son confident une portion de cette fermeté calme, froide et inflexible qu’il lui recommandait. Lorsque celui-ci se tut, le comte continua de tenir sa main jusqu’à ce qu’après un effort pour arriver à une décision calme, il fût en état de prononcer : « Qu’il en soit ainsi, qu’elle meure ! mais une larme, du moins, m’est permise.

— Pas une seule, milord, » interrompit Varney, qui vit à l’œil troublé et aux traits renversés de son maître, qu’il allait céder à son émotion ; « pas une larme, le temps ne le permet pas : il faut songer à Tressilian…

— En effet, dit le comte, c’est là un nom qui n’appelle pas les larmes, mais le sang. Varney, j’y ai songé, et j’ai pris ma résolution. Aucun argument, aucune prière ne pourra m’en faire changer. Tressilian sera ma victime.

— C’est une folie, milord ; mais votre volonté est trop puissante pour que je mette obstacle à votre vengeance. Cependant consentez, du moins, à choisir l’occasion favorable, et à ne point agir jusqu’à ce que cette dernière se présente.