Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/22

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votre santé, monsieur Mertonn… Il faut apprendre à boire un coup et à fumer une pipe ; et alors, comme vous dites, vous trouverez l’air du Shetland semblable à celui d’Arabie. Mais avez-vous vu Jarlshof ? »

L’étranger répondit qu’il ne l’avait pas visité.

« Alors, continua Magnus, vous n’avez aucune idée de votre entreprise. Si vous vous représentez une rade aussi commode que celle-ci, avec la maison située au bord d’un lac d’eau salée qui amène les harengs à votre porte, vous êtes dans l’erreur, mon bon ami. À Jarlshof vous ne verrez que les vagues furieuses battant contre les flancs nus d’un rocher, et le roost de Sumburgh qui file quinze nœuds par heure. — Je ne verrai rien au moins du courant des passions humaines. — Vous n’entendrez que le fracas des flots, le roulis des vagues, et le cri des mouettes depuis le lever du jour jusqu’au coucher du soleil. — Eh bien ! soit, mon ami, pourvu que je n’entende plus le chuchotement des langues de femmes. — Ah ! dit le Shetlandais, c’est que vous venez d’entendre mes petites Minna et Brenda chanter dans le jardin avec votre Mordaunt. Je vous assure que j’aime mieux entendre leurs petites voix que l’alouette que j’ai une fois entendue à Caithness, ou le rossignol dont j’ai lu tant de merveilles… Que feront les pauvres enfants quand elles n’auront plus leur compagnon de jeu Mordaunt ? — Elles s’arrangeront fort bien elles-mêmes, répondit Mertoun ; jeunes ou vieilles, les femmes trouvent toujours des compagnons de jeux ou des dupes. Mais la question est, monsieur Troil, de savoir si vous voulez me prendre comme locataire, dans cette maison de Jarlshof. — Avec plaisir, puisque votre volonté est d’aller vivre dans un lieu si triste. — Et le prix du loyer ? — Le prix ? Hum ! — ma foi, il vous faut le bout de plaintie cruive[1] ou de terre, qu’on appelait autrefois un jardin, et un droit dans le scathold, et un merk de terre de six pennys pour que les habitants puissent pêcher pour vous… Huit lispunds[2] de beurre et huit schellings sterling par an, n’est-ce pas trop ? »

  1. Morceau de terre où l’on cultive des légumes. La coutume libérale de ce pays donne, à tous ceux qui peuvent profiler de cet avantage, un petit terrain à choisir parmi les marécages. On l’environne d’une muraille, et on le cultive en jardin potager, jusqu’à ce que le sol soit épuisé ; alors on le laisse là et on forme un enclos autour d’un autre. Cette liberté est si loin d’empiéter sur les droits du propriétaire et du tenancier, que le dernier mépris qu’un Shetlandais témoigne pour un avare est de dire : qu’il ne voudrait pas tenir de lui un plaintie cruive.w. s.
  2. Un lispund pèse environ trente livres anglaises, et représente, selon le docteur Edromston, une valeur de dix schellings sterling. w. s.