Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/195

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pérances de fortune ne lui donnassent le droit de hasarder quelques pièces d’or, et son jeu n’alla jamais plus loin contre des personnes qui, d’après l’indifférence avec laquelle elles exposaient leur argent, paraissaient grandement en état d’en supporter la perte.

Il arriva, ou plutôt, suivant la croyance vulgaire, un mauvais génie voulut que Nigel fût d’un bonheur remarquable dans toutes ses gageures ; il était prudent et modéré, avait du sang-froid, de la mémoire, et une grande facilité pour le calcul. D’ailleurs, il était d’un caractère ferme et intrépide, et quiconque lui avait adressé la parole ou l’avait seulement vu une fois, fût-ce même en passant, ne se serait pas risqué à employer avec lui aucun de ces tours d’adresse ou de ces moyens avec lesquels on ne peut réussir qu’en intimidant les gens. Lorsqu’il plaisait à lord Glenvarloch de jouer, on jouait avec lui régulièrement, ou, suivant le terme d’usage, sans tricher ; et lorsqu’il s’apercevait que sa veine changeait, ou qu’il ne se souciait pas de tenter plus loin la fortune, les joueurs même les plus déterminés qui fréquentaient la maison de M. le chevalier de Saint-Priest de Beaujeu, n’osaient exprimer ouvertement leur mécontentement de le voir se lever de table avec son gain. Mais ceci étant arrivé à plusieurs reprises, ils commencèrent à murmurer entre eux du bonheur et de la prudence du jeune Écossais : bientôt il fut loin d’être vu de bon œil dans cette société.

Une circonstance particulière ne contribua pas médiocrement à entretenir dans lord Glenvarloch cette dangereuse habitude, une fois qu’il s’y fut livré : c’est qu’il se trouvait affranchi par là de la nécessité de contracter de nouvelles obligations pécuniaires, nécessité qui aurait blessé vivement son orgueil, et à laquelle néanmoins la prolongation de son séjour à Londres l’aurait réduit. Il avait à solliciter auprès des ministres certaines formes officielles dont il était nécessaire que l’ordonnance du roi fût revêtue pour qu’il pût en tirer parti ; et quoique ce point ne pût lui être refusé, les délais qu’on lui fit éprouver le portaient à croire qu’une certaine opposition secrète occasionnait les lenteurs de cette affaire. Son premier mouvement aurait été de se présenter une seconde fois à la cour, l’ordonnance du roi à la main, et d’en appeler à Sa Majesté en personne, pour qu’elle prononçât si les délais des ministres devaient rendre vaine sa générosité royale. Mais le comte de Huntinglen, ce bon vieux pair qui s’était si franchement mis en avant pour le servir dans la première occa-