Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/30

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puissant peut-être de tous les instincts, qui pousse l’auteur à son secrétaire et le peintre à son chevalet, souvent sans aucune chance de gloire, sans perspective de récompense. Peut-être en ai-je trop dit là-dessus. J’aurais pu sans doute, avec autant de sincérité que la plupart des gens, me justifier de l’accusation d’avoir des penchants avides ou mercenaires : mais je ne suis pas assez hypocrite pour nier les motifs ordinaires d’après lesquels je vois le monde entier autour de moi travailler sans cesse et sacrifier le repos, le bonheur, la santé et la vie. Je n’affecte pas le désintéressement de cette ingénieuse association de gentilshommes dont parle Goldsmith, qui vendaient leur journal six sous pièce, seulement pour leur plaisir.

Le Capitaine. Je n’ai plus qu’un mot à ajouter. On dit dans le monde que vous vous épuiserez…

L’Auteur. Le monde a raison. Mais qu’en arrivera-t-il ? Quand il ne dansera plus je briserai mes chalumeaux. La férule du public ne manquera pas de me faire sentir que je ne suis plus bon à rien ; et je ne manquerai pas de coups dans la main pour me faire revenir de l’apoplexie.

Le Capitaine. Et que deviendrons-nous, nous autres, membres de votre pauvre famille ?… Nous tomberons dans l’oubli et le mépris.

L’Auteur. Tel qu’un pauvre diable déjà accablé du nombre de ses enfants, je ne puis m’empêcher de l’augmenter encore : « C’est ma vocation, Hal ! » Ceux de vous qui méritent l’oubli, peut-être tous, y seront consignés. Quoi qu’il en soit, vous avez été lus dans votre temps, ce qui est plus qu’on en peut dire de vos contemporains, moins heureux quoique plus méritants. On ne peut nier que vous n’ayez eu du succès. Quant à moi, je mériterai toujours du moins le tribut involontaire que Johnson rendit à Churchill ? lorsqu’il compara son génie à un arbre qui ne portait que des fruits sauvages, mais qui étant productif en rapportait à foison. N’importe comment, c’est toujours quelque chose d’avoir occupé l’attention du public pendant sept ans. Si je n’avais écrit que Waverley, je serais maintenant, suivant la phrase d’usage : « l’ingénieux auteur d’un roman fort à la mode dans le temps. » Je crois, sur mon âme, que la réputation de Waverley s’est, en grande partie soutenue par les éloges des critiques disposés à préférer cet ouvrage à ceux qui l’ont suivi.