Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/213

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vous ne me gardez pas rancune, j’espère ? Il faut que chacun gagne son pain dans ce pays. Personne ne doit avoir honte d’avoir passé par mes mains ; car je fais mon ouvrage aussi proprement que quiconque ait jamais attaché un fruit vivant à un arbre mort. De plus, Dieu m’a fait la grâce de créer en moi un joyeux compagnon. Ha ! ha ! ha ! Je pourrais vous raconter bon nombre de si bonnes plaisanteries de ma façon, faites entre le pied de l’échelle et le haut de la potence, que, sur mon âme, je me suis vu obligé de précipiter ma besogne, de peur que ces brutes ne mourussent de rire, ce qui aurait infailliblement jeté du discrédit sur mon métier.

En parlant ainsi, il fit appuyer son cheval du côté de l’Écossais pour regagner l’intervalle que celui-ci avait mis entre eux, puis il ajouta : « Allons, monsieur l’archer, point de bouderie entre nous ; car, pour moi, j’ai toujours fait mon devoir sans colère et avec gaieté ; et je n’aime jamais mieux un homme que lorsque je lui ai passé autour du cou mon collier courte-haleine pour en faire un chevalier de l’ordre de Saint-Patibularius, comme le chapelain du grand prévôt, le digne père Vaconeldiablo[1], a coutume d’appeler le saint patron de la prévôterie. — En arrière, misérable ! » s’écria Quentin, voyant que l’exécuteur des hautes œuvres cherchait à se rapprocher de lui ; « éloigne-toi, ou je serai tenté de te faire connaître la distance qui sépare un homme d’honneur de celui qui n’est que le rebut de la société. — Là ! là ! comme vous êtes vif ! Si vous aviez dit un homme plein d’honnêteté, passe ; il y aurait quelque ombre de vérité là dedans ; mais quant aux hommes d’honneur, de par Dieu ! j’ai à travailler tous les jours avec cette sorte de gens, d’aussi près et d’une manière aussi serrée que lorsque j’ai été sur le point de vous faire accepter mes services. Mais que la paix soit avec vous, et tenez-vous compagnie à vous-même, si tel est votre désir. Je vous aurais invité à vider avec moi un flacon de vin d’Auvergne pour noyer le souvenir de toute rancune ; mais vous dédaignez ma courtoisie… eh bien ! boudez tant qu’il vous plaira. Je n’ai jamais de querelles avec mes pratiques, mes jolis sauteurs, mes joyeux danseurs, mes petits compagnons de jeu, comme Jacques le boucher appelle ses agneaux ; en un mot, avec ceux qui comme Votre Seigneurie, portent le mot corde[2] écrit sur leur front. Non, non ;

  1. Réunion de quatre mots espagnols qui signifie : Va-t’en au diable. a. m.
  2. Traduction du mot anglais hemp, chanvre, corde. Petit-André l’épelle con amore. a. m.