Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/278

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dans la situation où elle se trouvait, de la règle commune qui prescrit le silence à une femme jusqu’à ce que son amant ait osé lui faire l’aveu de ses sentiments ? À ces arguments qu’il s’opposait lui-même, et qu’il transformait en syllogismes irrésistibles, sa vanité en ajoutait un autre auquel il n’osait se rendre avec la même franchise : le mérite de l’objet aimé, lui disait-elle, pouvait peut-être justifier une femme de dévier quelque peu des règles générales ; et après tout il s’en trouvait plus d’un exemple dans les chroniques. Ce raisonnement ressemble beaucoup à celui de Malvio[1]. L’humble écuyer dont il avait lu l’histoire peu d’heures auparavant était, comme lui, un gentilhomme sans fortune et dépourvu de biens, et cependant la généreuse princesse de Hongrie ne s’était fait aucun scrupule de le combler de preuves d’affection plus positives que n’en renfermait le billet qu’il venait de recevoir.

« Sois le bienvenu, lui dit-elle,
Doux écuyer, qui pris racine dans mon cœur :
Cinq cents livres pour prix de ta noble candeur,
Unis à trois baisers, te viendront d’Isabelle. »


Et la même histoire véridique fait dire au roi de Hongrie lui-même :

« J’ai connu plus d’un beau page
Qui devint roi par mariage. »

De sorte que, tout bien considéré, Quentin, avec une générosité magnanime, faisant taire ses scrupules, approuva complètement dans la comtesse une conduite qui devait assurer son bonheur.

Mais ce scrupule fut bientôt remplacé par un soupçon beaucoup plus difficile à dissiper. Le traître Hayraddin était resté dans l’appartement des dames, à ce que Durward pouvait présumer, pendant environ quatre heures ; et en se rappelant la manière dont il avait cherché à lui faire entendre qu’il pourrait exercer une grande influence sur sa fortune, il se demanda si cette aventure n’était pas le résultat des intrigues de ce fourbe, et s’il n’était pas à craindre qu’elle ne fût le prélude de quelque nouveau complot, dont le but était peut-être de soustraire Isabelle à la protection du respectable évêque. C’était une question qui méritait d’être examinée avec la plus grande attention ; car Quentin éprouvait pour cet homme une répugnance proportionnée à l’im-

  1. Personnage ridicule d’un drame de Shakspeare, à qui une soubrette fait croire qu’il est aimé de sa maîtresse. a. m.