Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

faisait apercevoir deux rangées de dents solides et bien conservées en dépit de la vieillesse et des infirmités. Ses bas de soie, bien tirés et bien propres, si souvent lavés qu’ils en avaient contracté une teinte jaunâtre ; sa queue nouée avec une rosette, la boucle grise et peu fournie qui s’appliquait sur chacune de ses joues maigres et flasques ; son habit couleur de perle, sans collet ; le solitaire qui ornait un de ses doigts, le jabot, les manchettes et le chapeau-à-bras : tout annonçait que la Jeunesse avait considéré l’arrivée d’un convive au château comme un événement extraordinaire qui exigeait que, pour sa part, il déployât une magnificence et une parure proportionnées.

En considérant ce bizarre mais fidèle serviteur, qui probablement héritait des préjugés aussi bien que des vieux habits de son maître, je ne pus m’empêcher de reconnaître la ressemblance indiquée par le marquis lui-même entre la Jeunesse et mon Caleb, le fidèle écuyer de Maître de Rawenswood. Mais un Français, un Maître-Jacques ou Jean-fait-tout, une espèce de Michel-Morin, peut naturellement, avec plus d’aisance et de souplesse, se charger à lui seul d’un grand nombre d’emplois et y suffire avec plus de facilité que ne le ferait un Écossais avec sa roideur et la lenteur de ses mouvements. Plus habile que Caleb, sinon par le zèle du moins par sa dextérité, la Jeunesse paraissait se multiplier selon les besoins de l’occasion, et s’acquittait de ses divers emplois avec une promptitude si grande et une exactitude si remarquable, qu’un domestique de plus aurait été entièrement inutile.

Le dîner fut splendide. La soupe, malgré l’épithète de maigre dont les Anglais n’usent que par dérision[1], avait un goût délicieux, et la matelote de brochet et d’anguille me réconcilia, tout Écossais que j’étais, avec ce dernier poisson. Il y avait même un petit bouilli pour l’hérétique, soigneusement cuit de manière à conserver tout son jus, et en même temps rendu si tendre que rien ne pouvait être plus délicat. Le potage et deux autres petits plats étaient également bien accommodés. Mais ce dont le vieux maître d’hôtel se glorifiait le plus, comme d’une chose superbe, souriant comme un homme satisfait de lui-même, et jouissant de ma surprise en le plaçant sur la table, ce fut un immense plat

  1. On sait effectivement que le peuple anglais a la soupe en horreur, du moins telle qu’on la mange en France. Il n’aime qu’une sorte de potage bien-épicé, et qu’il nomme turtle-soup, friandise britannique fort coûteuse, et que l’on ne voit guère que chez les grands. a. m.