Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/386

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sa médiation, étaient d’une nature différente, et que, par conséquent, Notre-Dame de Cléry ne pouvait pas le regarder comme un meurtrier habituel et endurci, comme auraient dû le faire les autres saints qu’il avait pris plus fréquemment pour confidents de ses crimes[1].

Ayant ainsi purgé sa conscience, ou plutôt l’ayant blanchie comme un sépulcre, le roi entr’ouvrit la porte de sa chambre, et, mettant la tête en dehors, appela le Balafré.

« Mon brave, lui dit-il, il y a long-temps que tu es à mon service, et tu n’as eu que peu d’avancement. Je suis ici dans une circonstance où ma vie aussi bien que ma mort tiennent à peu de chose ; mais je ne voudrais pas mourir ingrat, c’est-à-dire sans récompenser, autant que les saints m’en donnent le pouvoir, soit un ami, soit un ennemi, chacun selon ce qu’il mérite. Or, j’ai un ami à récompenser, c’est toi-même ; un ennemi à punir, et c’est ce vil, ce perfide scélérat, Martius Galeotti, qui, par ses impostures et ses mensonges artificieux, m’a entraîné ici pour me livrer au pouvoir de mon ennemi mortel, avec une préméditation aussi arrêtée de me faire périr que celle du bouclier qui fait entrer un bœuf dans la tuerie. — Je l’appellerai au combat, répondit le Balafré : le duc de Bourgogne est trop l’ami des gens d’épée pour ne pas nous accorder le champ clos, un terrain d’une étendue raisonnable. Et si Votre Majesté vit assez long-temps, et qu’elle jouisse d’assez de liberté, elle me verra combattre pour soutenir sa querelle, et tirer de ce philosophe une vengeance telle que vous pouvez la désirer. — Je rends justice à ta bravoure, et je connais ton dévouement à mon service ; mais ce vil scélérat est un vigoureux compagnon, et je ne voudrais pas te faire courir le risque de la vie, mon brave. — Votre Majesté me permettra de lui dire que je ne serais pas un brave si je n’osais me mesurer contre un homme plus redoutable encore que Galeotti. Il serait vraiment beau à moi, qui ne sais ni lire ni écrire, d’avoir peur d’un gros lourdaud qui n’a guère fait autre chose de sa vie. — N’importe : notre bon plaisir n’est pas que tu exposes ainsi ta vie, Balafré. Ce traître va venir ici d’après notre ordre, saisis l’occasion, approche-

  1. En parcourant les passages correspondants dans la vieille chronique manuscrite, je ne pus m’empêcher d’être étonné qu’un prince doué d’autant de jugement que l’était certainement Louis XI, eût pu se laisser aveugler par un genre de superstition dont on ne croirait pas capables les sauvages les plus stupides ; mais les termes de la prière que fit le roi dans une occasion pareille, et qui nous ont été conservés par Brantôme, sont tout aussi extraordinaires.
    (Note de l’auteur.)