Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/40

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taient librement adonnés à leur goût, avaient fait de si nombreuses additions à une ancienne bibliothèque gothique fort curieuse qui leur était venue de leurs ancêtres, qu’il y avait peu de collections en France qui pussent être comparées à celle de Haut-Lieu. Elle avait été complètement dispersée par suite d’une tentative irréfléchie du marquis actuel, en 1790, pour défendre son château contre une populace mutinée. Heureusement le curé, qui, par sa conduite charitable et modérée, ainsi que par ses vertus évangéliques, avait beaucoup de crédit sur l’esprit des paysans du voisinage, décida plusieurs d’entre eux à lui céder pour quelques sous, plusieurs fois même pour un petit verre d’eau-de-vie, des volumes qui avaient coûté des sommes considérables, et que ces forcenés, en pillant le château, avaient enlevés par le seul instinct de nuire. Le bon curé avait ainsi racheté autant de livres que sa bourse avait pu le lui permettre, et c’était grâce à ces soins qu’ils avaient été rétablis dans la tourelle où je les trouvai. Il n’était donc pas étonnant qu’il se fît une gloire et un plaisir de montrer aux étrangers la collection qu’il avait formée.

En dépit des volumes dépareillés, mutilés, et des autres mortifications que rencontre un amateur en parcourant une bibliothèque mal tenue, il y avait dans celle de Haut-Lieu plusieurs ouvrages faits, comme le dit Bayes[1], « pour élever et surprendre » le bibliomane. On trouvait « le rare petit volume à la dorure noircie[2], » comme s’exprime le docteur Ferrier avec toute la sensibilité d’un amateur ; des missels soigneusement et richement enluminés ; des manuscrits de 1380, de 1320, et même d’une date plus ancienne, et des ouvrages imprimés en caractères gothiques dans le quinzième et le seizième siècle. Mais je me propose d’en rendre un compte plus détaillé, si le marquis veut bien m’en accorder la permission.

En attendant, il suffira de dire que, ravi de la journée que j’avais passée à Haut-Lieu, je renouvelai souvent ma visite, et que la clef de la tour octogone était toujours à ma disposition. Ce fut alors que je me passionnai vivement pour une partie de l’histoire de France que, malgré la grande importance de ses rapports avec celle de l’Europe en général, et quoique traitée par un ancien historien inimitable, je n’avais jamais suffisamment étudiée. En même

  1. Poëte bouffon introduit dans une comédie du duc de Buckingham. a. m.
  2. Traduction de ce vers :
    The small rare volume, dark with tarnish’d gold. a. m.