Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/427

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les deux pays aient jamais eu à soutenir l’un contre l’autre. — Il ne dépendra pas de moi que de tels malheurs n’arrivent pas, s’il m’est possible de les éviter ! Quand même la vengeance aurait pour moi des charmes, la moindre prière de votre part suffirait pour m’y faire renoncer. Me serait-il possible de garder le souvenir des outrages du roi Louis, plutôt que celui des services inappréciables que vous m’avez rendus ? Mais comment faire ? quand je paraîtrai devant mon souverain le duc de Bourgogne, il faudra que je garde le silence, ou que je dise la vérité. Le premier parti serait de l’opiniâtreté, et, d’un autre côté, vous ne voudriez pas que ma langue se souillât d’un mensonge. — Bien certainement non ! mais ne dites, au sujet de Louis, que ce que, personnellement et par vous-même, vous savez être la vérité. Quant aux choses que vous n’avez apprises que par d’autres, croyables ou non, répétez-les seulement comme des on-dit ; gardez-vous de les appuyer de votre propre témoignage, quelque foi que vous puissiez y ajouter vous-même. Le conseil d’État de Bourgogne ne peut refuser à un monarque la justice que, dans mon pays, on accorde au moindre accusé : on doit le considérer comme un innocent, jusqu’à ce que la culpabilité soit démontrée par des preuves directes et suffisantes. Or, tout ce dont vous n’aurez pas une connaissance certaine et personnelle, ne devra être prouvé autrement que par des ouï-dire. — Je crois que je vous comprends. — Je vais m’expliquer plus clairement encore, » répondit Quentin ; il s’efforça de rendre sa pensée plus intelligible par des exemples ; mais il n’avait pas encore terminé, que la cloche du couvent se fit entendre. — Ce signal, dit la comtesse, nous avertit qu’il faut nous séparer… nous séparer pour toujours ! Mais ne m’oubliez pas, Durward ; je ne vous oublierai jamais. Vos fidèles services… »

Elle ne put lui en dire davantage, mais elle lui tendit de nouveau la main ; Quentin la pressa contre ses lèvres, et je ne sais comment il arriva qu’en essayant de la retirer, Isabelle s’approcha si près de la grille, que le jeune Écossais osa imprimer ses adieux sur ses lèvres même. La comtesse ne lui en fit aucun reproche ; peut-être n’en eut-elle pas le temps, car Crèvecœur et Crawford, qui, postés dans un lieu secret, avaient pu voir mais non entendre tout ce qui se passait, entrèrent dans l’appartement, le premier transporté de colère et avec impétuosité, le second, riant de toutes ses forces et s’efforçant de le retenir par le bras.

— « À votre chambre, jeune dame ! » cria le comte à Isabelle,