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INTRODUCTION.

violé le respect dû à la vie privée. À la vérité, il était impossible que des traits de caractère appartenant à des individus morts ou vivants, avec lesquels j’avais eu des liaisons de société, ne se présentassent pas sous ma plume dans des ouvrages tels que Waverley et ceux qui suivirent ; mais je me suis fait une constante étude de généraliser les portraits, de telle sorte que l’ensemble parût une production de l’imagination, quoique offrant quelque ressemblance avec des êtres réels. Cependant je dois avouer qu’en cela mes efforts n’ont pas toujours réussi. Il y a des hommes dont le caractère est tellement prononcé, que la peinture d’un des principaux traits vous met inévitablement devant les yeux le personnage entier dans toute son individualité. C’est ainsi que le caractère de Jonathan Oldbuck, dans l’Antiquaire, fut en partie fondé sur celui d’un ancien ami de ma jeunesse, à qui je dois la connaissance de Shakspeare, et d’autres bienfaits inappréciables. Je croyais en avoir tellement altéré la ressemblance, qu’aucun être vivant ne pourrait le reconnaître. Je me trompais toutefois, et j’avais exposé le secret que je désirais garder ; car j’ai appris récemment qu’un homme des plus respectables, l’un des amis peu nombreux de mon père qui lui eussent survécu, et de plus critique éclairé[1], avait dit, lorsque cet ouvrage parut, qu’il savait avec certitude quel en était l’auteur, ayant reconnu dans l’Antiquaire de Monkbarns des traits appartenant au caractère d’un très-intime ami de ma famille.

Je ferai aussi remarquer ici que l’échange de procédés nobles et généreux entre le baron de Bradwardine et le colonel Talbot est un fait exact. Voici les circonstances réelles de cette anecdote, aussi honorable pour le whig que pour le tory.

Alexandre Stewart d’Invernahyle, nom que je ne puis écrire sans un vif sentiment de gratitude envers l’ami de mon enfance, qui le premier me fit connaître les Hautes Terres d’Écosse, leurs traditions et leurs mœurs, Alexandre Stewart, dis-je, avait pris une part active aux troubles de 1745. En chargeant, à la bataille de Preston avec son clan, les Stuarts d’Appines, il vit un officier de l’armée ennemie seul et debout à côté d’une batterie de quatre canons : celui-ci fit encore feu de trois pièces sur les montagnards qui s’avançaient ; après quoi il tira son épée. Invernahyle s’élança sur lui et le somma de se rendre. « Jamais à des rebelles ! » fut l’intrépide réponse de l’Anglais, réponse accompagnée d’une botte

  1. John Chalmers, membre du barreau de Londres, mort en 1831. a. m.