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LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

produire les peintures gracieuses si brusquement effacées. Eh bien ! je tenterais un autre moyen : je tâcherais de déterminer Christie Steele à quitter son auberge, puisqu’elle n’y faisait pas de bonnes affaires ; elle avait été la gouvernante de ma mère, elle deviendrait la mienne. Je connaissais tous ses défauts : je me racontai son histoire.

Elle était petite-fille, à ce que je crois, ou au moins parent du fameux covenantaire de même nom, qui, dans le temps des persécutions, fut tué d’un coup de fusil, sur l’escalier de sa maison, par le capitaine Crichton, l’ami du doyen Swift ; et peut-être tirait-elle de cette souche ses bonnes et ses mauvaises qualités. Bien que, du temps de ma mère, elle dirigeât toutes les affaires de la maison, certes il eût été absurde de dire qu’elle était la vie et l’esprit de la famille. Son regard était sombre et sévère ; et lorsqu’elle n’était pas mécontente de quelqu’un, il ne pouvait s’en apercevoir qu’à son silence. S’il y avait quelque motif de plainte, alors elle n’épargnait pas les cris. Elle aimait ma mère avec l’attachement dévoué d’une jeune sœur ; mais elle était aussi jalouse de sa faveur que si elle eût été le vieux mari d’une jeune femme coquette, et aussi sévère dans ses réprimandes qu’une abbesse envers ses religieuses. L’influence que cette femme exerçait sur la douairière de Croftangry était, je le crains, celui d’une âme forte et déterminée sur un caractère faible et une constitution nerveuse ; et quoiqu’elle usât de cette influence avec rigueur, Christie Steele nourrissait la ferme croyance qu’elle l’employait dans le plus grand intérêt de sa maîtresse, et elle serait morte plutôt que d’en user autrement. Toutes les affections de son cœur étaient réunies sur la famille de Croftangry ; elle n’avait que très-peu de parents ; et un jeune débauché, son cousin, qu’elle avait pris pour mari à un âge déjà avancé, l’avait depuis long-temps laissée veuve.

Quant à moi, elle m’avait toujours détesté. Dès ma plus tendre enfance, elle était jalouse, quelque étrange que cela puisse paraître, de la place que j’occupais dans le cœur de ma mère ; elle voyait mes faiblesses et mes vices avec horreur, et ne supportait qu’avec déplaisir l’indulgence maternelle, même lorsque la mort de deux frères m’eut laissé le seul enfant d’une triste veuve. À l’époque où ma conduite désordonnée força ma mère à quitter le séjour de Glentanner, et à se retirer à Duntarkin, qui faisait partie de son douaire, j’eus lieu de reconnaître dans cette démarche décisive l’influence de Christie Steele. Ce fut elle qui l’empêcha