Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/129

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Or Steenie était devenu en quelque sorte le favori de son maître, et il était connu de tous les gens du château : souvent on l’envoyait chercher pour qu’il jouât de la cornemuse, lorsqu’il y avait des réjouissances. Le vieux Dougal Mac Calluni, le sommelier, qui avait suivi sir Rohert dans ses revers et ses succès, par monts et par vaux, à travers marais et rivières, aimait passionnément la cornemuse, et disait toujours un mot au laird dans l’intérêt de mon grand-père ; car Dougal menait son maître par le bout du nez.

Enfin arriva la révolution, et vraisemblablement elle aurait dû briser le cœur de Dougal et de son maître. Le changement ne fut pas tout à fait aussi grand qu’ils le craignaient, et que le pensaient d’autres gens. Les whigs faisaient grand tapage des représailles qu’ils exerceraient contre leurs anciens ennemis, et surtout contre sir Robert Redgauntlet. Mais il y avait trop de hauts personnages qui avaient pris part à la même besogne pour faire un triage et constituer un nouveau monde. Le parlement n’y donna donc pas grande attention ; et sir Robert, si ce n’est qu’il lui fallut chasser des renards au lieu de covenantaires, resta comme il était auparavant. Ses festins étaient aussi splendides, et sa grand’salle aussi bien éclairée que jamais, quoiqu’il n’eût plus les amendes des non-conformistes pour garnir le buffet et le cellier. Il est certain qu’il commença à devenir moins accommodant pour les rentes que les fermiers ne lui payaient pas trop bien auparavant, et il fallait qu’ils fussent exacts au jour de l’échéance, sans cela le laird n’était pas content. Or c’était un homme si terrible, que personne ne se souciait de le fâcher ; les jurements qu’il lâchait, la fureur à laquelle il avait coutume de se livrer, et l’air menaçant qu’il savait prendre, donnaient parfois à penser que c’était un diable incarné.

Eh bien, mon grand-père n’était pas économe : non pas qu’il n’eût aucun ordre ; — mais il n’avait pas le don de l’épargne, et il se trouva arriéré de deux termes. La première fois, à la Pentecôte, il s’en tira avec de belles paroles et sa cornemuse ; mais quand arriva la Saint-Martin, sommation fut faite par le receveur des rentes de payer au jour fixé la somme due, ou d’avoir à décamper. Il ne lui était pas facile de se procurer de l’argent ; mais il avait beaucoup d’amis, et il parvint à réunir entre eux tous l’argent dont il avait besoin — mille marcs — dont la plus grande partie était prêtée par un voisin qu’on appelait Laurie Lapraick — un fin matois. Laurie ne manquait pas d’écus — savait chasser avec la