Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/14

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malheureuse entreprise[1]. Ce n’est cependant pas sans défiance que nous devons admettre ce que dit le docteur King sur ce sujet, si nous nous souvenons que lui-même avait quitté, pour ne pas dire déserté, le drapeau du prince, et qu’en conséquence il était peu propre à juger impartialement ses vertus et ses défauts. Nous devons nous rappeler aussi que si le prince exilé donna peu, c’est qu’il avait peu à donner ; surtout quand on considère jusqu’à quelle époque avancée de sa vie il nourrit le projet d’une seconde expédition en Écosse, entreprise pour laquelle il tâcha long-temps d’amasser l’argent nécessaire.

On accordera aussi que la position de Charles-Édouard était difficile. Il avait à satisfaire un grand nombre de personnes qui, ayant tout perdu en soutenant sa cause, voyaient encore dans sa ruine celle de toutes les espérances qu’elles avaient considérées comme des certitudes. Quelques-unes d’elles furent peut-être pressantes dans leurs sollicitations, et, en tout cas, mécontentes de n’avoir point réussi. Sous d’autres points de vue, la conduite du Chevalier pouvait donner lieu à supposer qu’il était insensible aux souffrances de ces dévoués compagnons. D’abord, comme toute sa famille élevée dans la pure théorie d’obéissance passive et de non-résistance, il admettait cette théorie qu’il avait sucée avec le lait, et qui, on peut le dire, n’a rien de généreux. Si ce malheureux prince accorda une foi aveugle aux hommes d’État qui professaient de pareils principes, comme toute sa conduite tend à le prouver, ils doivent l’avoir amené à cette conséquence naturelle, quoique odieuse, que les services d’un sujet, à quelque degré de malheur qu’ils l’aient entraîné, ne font contracter à son souverain aucune dette envers lui : un tel homme n’a pas d’autre mérite que celui d’avoir fait son devoir ; il n’a aucun titre à une plus grande récompense que celle qui convient au prince de lui accorder, aucun droit de regarder son souverain comme son débiteur. En déduisant rigoureusement les conséquences des principes jacobistes, ils conduisaient inévitablement à cette froide et égoïste manière de raisonner de la part du souverain. Quelle que soit notre compassion naturelle pour de royales infortunes, nous ne pouvons affirmer que Charles ne se servît pas de ces raisonnements, comme d’une espèce d’opium, pour endormir

  1. Le docteur King exprime ainsi ce reproche : « Mais le côté le plus odieux de son caractère est l’amour de l’argent, vice que nul historien, à mon souvenir, n’a imputé à aucun de ses ancêtres, et qui est la marque certaine d’un esprit bas et étroit. Je sais qu’on peut répondre qu’un prince dans l’exil doit être économe. Oui, il doit l’être ; mais, malgré cela, sa bourse doit toujours être ouverte, tant qu’il y a quelque chose dedans, pour subvenir aux besoins de ses amis et de ses adhérents. Le roi Charles II, pendant son exil, aurait tiré de sa poche sa dernière pistole pour la partager avec le plus humble de ses serviteurs. Mais j’ai entendu le Chevalier, ayant deux mille louis d’or dans son coffre-fort, prétendre qu’il était dans la plus grande détresse, et emprunter de l’argent à une dame qui était loin de se trouver dans l’aisance. Ses plus fidèles serviteurs, qui l’avaient servi sans interruption dans toutes les phases de sa mauvaise fortune, furent mal récompensés. » a. m.