Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/20

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vous le savez, satisfait très-largement à tous mes besoins ; et pourtant vous, — traître que vous êtes à la cause de l’amitié, — vous me privez de votre société, et vous vous condamnez vous-même à des privations, de peur que mes courses vagabondes ne me coûtent quelques guinées de plus ! Est-ce par égard pour ma bourse ou pour votre propre orgueil ? N’est-ce pas également absurde et déraisonnable, quelque soit le motif ? car, je vous l’assure, j’ai et j’aurai plus qu’il ne faut à tous deux. Le même et méthodique Samuel Griffiths, d’Ironmonger-Lane, Guild-Hall, à Londres, dont la lettre arrive aussi exactement que le jour du quartier, m’a envoyé, comme je vous l’ai dit, double ration pour ce vingt-unième anniversaire de ma naissance, m’assurant, dans son langage concis, que la somme sera encore doublée les années suivantes, jusqu’à ce que j’entre en possession de mes biens. Il faut encore que je m’abstienne de visiter l’Angleterre jusqu’à l’expiration de ma vingt-cinquième année. Quant à présent, l’on me recommande de ne faire aucune enquête touchant ma famille.

Si je ne me rappelais ma pauvre mère dans son grand deuil, elle qui ne souriait jamais qu’en me regardant, et encore d’un douloureux et faible sourire, comme le soleil lorsqu’il rayonne à travers un nuage d’avril ; si ce n’était, dis-je, que sa douce figure et ses nobles manières repoussent un tel soupçon, je me croirais fils d’un directeur de la compagnie des Indes, ou d’un riche bourgeois, qui avait plus d’argent que d’honneur, d’un libertin hypocrite qui élevait en cachette, enrichissait en secret, un être auquel il avait honte sans doute d’avoir donné l’existence. Mais, comme je l’ai déjà dit, je me souviens de ma mère, et je suis sûr, comme de mon existence, que l’ombre même du déshonneur ne peut s’allier à rien qui la concerne. Cependant, je suis riche et je suis seul : pourquoi mon unique ami se fait-il scrupule de partager mes richesses ?

N’êtes-vous pas mon unique ami ? et n’avez-vous pas acquis le droit de partager avec moi ? Quand je quittai la solitude de la maison maternelle pour le tumulte de la classe des enfants à High-School[1] ; — quand je fus bafoué pour mon accent du Sud, — salé avec de la neige comme un pourceau d’Angleterre, — et roulé dans le ruisseau en recevant l’épithète de boudin saxon, qui, avec de bons arguments, et des coups meilleurs encore, osa se déclarer mon défenseur ? Ce fut Alan Fairford. — Qui me rossa d’im-

  1. Le collège. a. m.