Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme vous le but brillant de vos études législatives. En un mot, si je ne puis être avocat, je suis déterminé à être client, — espèce de personne sans qui un vrai procès serait aussi ridicule qu’un cas supposé. Oui, je suis déterminé à vous faire gagner vos premiers honoraires. On peut aisément, j’en suis certain, entrer en procès : — c’est seulement d’en sortir, qui est chose parfois très-difficile ; — or, avec votre cher père pour agent ; vous, si versé dans la jurisprudence, pour avocat, et le respectable maître Samuel Griffiths derrière moi, quelques sessions n’épuiseront pas ma patience. Bref, je me présenterai devant la cour, fallût-il pour cela commettre un délit, ou au moins un quasi-délit. — Vous voyez que les écrits d’Erskine et les leçons de Wallace[1] n’ont pas été tout à fait perdus pour moi.

Voilà sans doute d’assez joyeuses plaisanteries ; et pourtant, Alan, je ne suis point parfaitement satisfait au fond. Je suis accablé du sentiment de mon isolement, et ma solitude m’est d’autant plus pénible qu’elle me semble toute particulière à moi. Dans une contrée où tout le monde a un cercle de parenté qui s’étend au sixième degré au moins, je suis un individu isolé, ne connaissant qu’un être dont le cœur batte à l’unisson du mien. Si j’étais condamné à travailler pour gagner mon pain, il me semble que je m’apercevrais moins de cette nouvelle espèce de privation. Les communications nécessaires entre le maître et le serviteur seraient au moins un lien qui m’attacherait au reste des hommes : — dans le fait, mon indépendance même me semble augmenter encore la singularité de ma position. Je suis dans le monde comme un étranger dans un café bien fréquenté ; il entre, demande les rafraîchissements dont il a besoin, paie la carte, et est oublié aussitôt que le garçon a prononcé son « merci, monsieur. »

Je sais que votre bon père appellerait ceci pécher contre la merci du ciel ; et me demanderait quelles seraient donc mes plaintes, si, au lieu d’acquitter facilement ma dépense, j’étais obligé de chercher à fléchir la colère de l’hôte pour avoir consommé ce que je ne pourrais payer. Je ne puis dire comment cela se fait ; mais quoique cette réflexion très-raisonnable s’offre à mon esprit, quoique je confesse que quatre cents livres sterling de revenu annuel dont j’ai joui jusqu’à présent et qui viennent d’être doublées, et enfin le Seigneur sait combien de centaines

  1. Erskine, jurisconsulte, et Wallace, professeur à Édimbourg. a. m.