Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/48

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cheval, qui reprit sa course rapide ; — la lune, chaque fois qu’elle pouvait pénétrer les nuages, jetait la grande ombre de l’animal, avec son double fardeau, sur la campagne sauvage et nue que nous traversions.

Il t’est permis de rire jusqu’à ce que la lettre t’échappe des mains ; mais, à ce moment, je me ressouvins du magicien Atlante sur son hippogriffe, et conduisant en croupe un noble chevalier, ainsi que nous le raconte l’Arioste. Tu es, je le sais, un homme assez positif pour affecter de mépriser ce délicieux et illustre poète k cependant, ne t’imagine point que, pour me conformer à ton mauvais goût, je laisse jamais de côté une allusion poétique qui viendra se présenter à moi.

Durant notre course, le ciel s’obscurcissait, et le vent commençait à siffler sur un ton sauvage et mélancolique, accompagnant à merveille les sons creux de la marée montante, qui, entendus à une certaine distance, ressemblaient au rugissement de quelque énorme bête féroce privée de sa proie.

Enfin nous arrivâmes au sommet d’une de ces profondes et étroites vallées qu’on appelle, dans certaines parties de l’Écosse, den, et, dans d’autres, cleugh ou glen. Aux clartés passagères que la lune continuait de jeter, la descente de cette vallée me semblait être rapide, escarpée, et couverte d’arbres qui sont généralement rares sur ces côtes. Le chemin par lequel nous pénétrâmes dans le glen était raide et raboteux, et formait deux ou trois détours à angles aigus ; mais ni le péril ni l’obscurité n’arrêtaient la marche du cheval noir, qui semblait plutôt glisser sur le ventre que marcher sur ses jambes, et me jetait souvent sur les épaules de mon athlétique conducteur. Celui-ci, nullement incommodé par cette dernière circonstance, continua de stimuler l’animal avec l’éperon, en même temps qu’il le soutenait par la bride, jusqu’à ce que nous fussions au bas de la côte, — à ma grande satisfaction, comme vous pouvez le concevoir sans peine, mon cher Alan.

Quelques instants de marche, après cette descente difficile, nous amenèrent devant deux ou trois chaumières, parmi lesquelles je pus, grâce à quelques rayons lunaires, en distinguer une mieux conditionnée que celle des paysans écossais. Les fenêtres étaient vitrées ; des lucarnes pratiquées sur le toit donnaient une idée de la magnificence d’un second étage. Le paysage semblait fort pittoresque à l’entour ; et les chaumières, avec les