Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/121

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lante, il vit passer devant lui et se diriger du pont vers la forêt l’image vivante et mouvante d’Anne de Geierstein !

CHAPITRE X.

LA PATROUILLE.

Nous ne savons pas quand le sommeil nous prend, quand le sommeil nous lâche. Des visions distinctes et parfaites passent devant nos yeux, lorsque nous dormons, qui nous semblent des réalités ; et même en marchant, certaines personnes ont vu des choses qui réduisaient à rien l’évidence des sens, et qui les laissaient bien persuadées qu’alors elles rêvaient.
Anonyme.

L’apparition d’Anne de Geierstein passa devant son amant… devant son admirateur, devons-nous dire au moins… plus vite que nous ne l’avons raconté ; mais elle était distincte, parfaite, à ne pas s’y méprendre. À l’instant même où le jeune Anglais, triomphant de son tendre désespoir, levait la tête pour examiner l’espace de terrain qu’il devait surveiller, il la vit s’avancer de l’extrémité la plus proche du pont, traverser la route que suivait d’ordinaire la sentinelle, et se diriger d’un pas rapide, mais ferme, vers la lisière du bois.

Il aurait été naturel qu’Arthur, bien qu’on l’eût averti de ne rien demander aux personnes qui sortaient du château, et de n’arrêter que celles qui voulaient s’y introduire, adressât néanmoins quelques mots, quelques mots seulement, ne fût-ce que par simple politesse, à la jeune fille qui passait ainsi devant son poste ; mais son apparition inattendue lui ôta pour l’instant et la parole et le mouvement ; il lui sembla que son imagination avait créé un fantôme présentant à ses sens troublés la forme et les traits de la personne qui occupait exclusivement son esprit, et il resta muet en partie au moins par crainte, pensant qu’il ne voyait qu’un être immatériel et non de ce monde.

Il n’eût pas été moins naturel qu’Anne de Geierstein eût montré de quelque manière qu’elle reconnaissait un individu qui avait passé un temps considérable sous le même toit qu’elle, qui avait été souvent son cavalier à la danse, et le compagnon de ses courses ; mais elle ne manifesta pas le moindre signe de reconnaissance, ne regarda même pas de son côté en passant : ses yeux