Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/127

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plus heureux, et ç’aurait été avec déplaisir qu’il l’aurait entendu prononcer le nom de la jeune personne.

C’était peut-être par suite de cette secrète irritabilité qu’Arthur, malgré tous ses efforts pour cacher et bannir ce sentiment, ressentait encore une espèce de rancune contre Rudolphe Donnerhugel, dont la familiarité franche, mais un peu grossière, se mêlait à certain air de protection et de patronage, qu’il semblait au jeune homme n’avoir aucun droit de prendre. Il répondait, à la vérité, aux manières ouvertes du Bernois, par une égale franchise, mais il était de temps à autre tenté de repousser le ton de supériorité qui les accompagnait toujours. Les circonstances de leur duel n’avaient donné au Suisse nulle raison de prendre cet air de triomphe, et Arthur n’était pas disposé à se mettre du nombre des jeunes Helvétiens, sur lesquels Rudolphe exerçait une véritable autorité, du consentement général. Philipson goûtait si peu cette affectation de supériorité, que la misérable plaisanterie qui consistait à l’appeler le roi Arthur, et qui ne le touchait nullement lorsqu’elle lui était adressée par quelqu’un de la famille Biederman, lui paraissait offensante quand Rudolphe prenait la même liberté ; de sorte qu’il se trouvait souvent dans la fâcheuse position d’un homme qui est intérieurement irrité, sans avoir aucun moyen extérieur de manifester convenablement sa colère. Sans doute, l’origine de toute cette haine cachée contre le jeune Bernois était un sentiment de rivalité, mais ce sentiment, Arthur n’osait se l’avouer à lui-même. Il était assez puissant néanmoins pour faire passer l’envie qu’il avait eue d’abord de parler à Rudolphe de l’incident nocturne qui l’intéressait ; et comme ils avaient laissé tomber aussitôt le sujet de conversation entamée, ils marchaient l’un à côté de l’autre en silence, « la barbe sur l’épaule, » comme dit l’Espagnol, c’est-à-dire, regardant autour d’eux dans toutes les directions, et remplissant ainsi le devoir d’une sentinelle vigilante.

Enfin, après une promenade d’un mille environ, à travers les bois et la campagne, au moment où ils se trouvèrent avoir fait autour des ruines de Graff’s-Lust un circuit assez étendu pour qu’on fût certain qu’il n’existait aucune embuscade entre eux et ces ruines, le vieux chien, conduit par la vedette qui marchait en avant, s’arrêta et poussa un sourd glapissement.

« Eh bien ! qu’est-ce, Wolf-Fanger ? » dit Rudolphe s’avançant. « Quoi donc, vieux drôle, ne distingues-tu pas les amis des ennemis ? Allons, que dis-tu maintenant, toute réflexion faite ?… il ne