Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/242

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pourrais n’avoir pas le temps de prononcer le mot fatal, et aucun œil autre que le tien ne doit voir les larmes que j’essuie maintenant. »

Le sentiment pénible qui accompagnait ainsi l’idée seule de leur séparation était si sincère de la part d’Arthur, aussi bien que de celle de son père, qu’il ne vint pas d’abord à l’esprit du fils, comme motif de consolation, qu’il serait probablement placé sous la protection de la femme singulière dont le souvenir lui était presque toujours présent. À la vérité, la beauté d’Anne de Geierstein, aussi bien que les circonstances bizarres dans lesquelles elle s’était montrée, avait, le matin même, été la principale occupation de son esprit ; mais elles en étaient alors chassées par le souvenir prédominant qu’il allait se séparer, dans un moment critique, d’un père qui méritait si bien sa haute estime et sa plus vive affection.

Pendant que le père essuyait une larme que son courage stoïque ne put dévorer, comme s’il eut craint de voir faiblir sa résolution en s’abandonnant à sa tendresse paternelle, il rappela le pieux Barthélémy, pour lui demander à quelle distance ils étaient encore de la chapelle du Bac.

« À un peu plus d’un mille, » répondit le guide ; et lorsque l’Anglais demanda des détails concernant les motifs de son érection, il fut informé « qu’un vieux batelier ou pêcheur, nommé Hans, avait long-temps demeuré en cet endroit, gagnant à grand’peine sa vie à passer les voyageurs et les marchands d’une rive du fleuve à l’autre. Cependant le malheur qu’il eut de perdre une barque d’abord, puis une seconde, dans le courant profond et rapide, avec la crainte inspirée aux voyageurs par la répétition de tels accidents, commença à rendre sa profession plus incertaine. Comme le vieillard était bon catholique, sa détresse lui inspira des sentiments religieux : il se mit à jeter un regard en arrière sur sa première vie, et à examiner par quels crimes il avait mérité les infortunes qui avaient obscurci le soir de ses jours. Son remords fut particulièrement excité par ce souvenir. Il avait, une fois que le fleuve était fort orageux, refusé de faire son offre comme passeur, pour transporter sur l’autre bord un prêtre qui portait avec lui une image de la Vierge, destinée à l’église du village de Kirch-Hoff, sur la rive droite du Rhin. Pour cette faute, Hans se soumit à une sévère pénitence, attendu qu’il était disposé à se regarder comme coupable pour avoir douté que la sainte Vierge eût la puissance de se protéger elle-même, aussi bien que son ministre et la barque employée