Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/69

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ment !… Il est étrange, continua-t-il, qu’une main capable de tendre un arc si rude, ait encore l’adresse de former des caractères si beaux. » Puis il s’écria encore une fois : « Ah ! des vers, par Notre-Dame ! Quoi ! seriez-vous des ménestrels déguisés en marchands ? » Il ouvrit alors le papier et lut les vers suivants :

Si j’atteignais le mât, le lien et l’oiseau,
L’archer anglais tiendrait donc sa parole.
Mais, jeune fille, ô toi dont on raffole,
Un seul de tes regards ferait mon sort plus beau.

« Voilà de la belle poésie, mon digne hôte, » dit le landamman en branlant la tête, « de jolis mots pour rendre folles des jeunes filles. Mais ne prenez pas la peine de vous excuser ; c’est la mode de votre pays, et nous savons par conséquent fermer les yeux là-dessus. » Puis, sans plus faire allusion au fameux quatrain, dont la lecture avait jeté le poète, aussi bien que l’objet des vers, dans un certain embarras, il ajouta gravement : « Vous devez maintenant convenir, Rudolphe Donnerhugel, que l’étranger a joué franc jeu et atteint les trois buts qu’il se proposait. — Qu’il les ait atteints, c’est chose manifeste, répondit l’individu auquel on en appelait de la sorte ; mais qu’il ait joué franc jeu, on peut en douter, s’il existe dans ce monde des choses qu’on nomme magie et sortilège. — Honte, honte à vous, Rudolphe ! dit le landamman ; la rancune et l’envie peuvent-elles avoir tant de prise sur un si brave jeune homme que vous, en qui mes fils devraient trouver un modèle de modération, d’équité et de franchise, aussi bien que de courage viril et de dextérité ? »

Le Bernois rougit vivement à ce reproche auquel il n’osa même pas essayer de répondre.

« Amusez-vous jusqu’au coucher du soleil, mes enfants, continua Arnold, pendant que mon digne hôte et moi nous emploierons notre temps à faire une promenade pour laquelle la soirée est maintenant favorable. — Il me semble, dit le marchand anglais, que j’aimerais à visiter les ruines de ce château qui s’élève près de la cascade. Il y a une espèce de dignité mélancolique dans une pareille scène, qui nous réconcilie avec les malheurs de notre propre temps, en nous montrant que nos ancêtres, qui étaient peut-être plus habiles ou plus puissants, ont néanmoins rencontré dans la vie des peines et des infortunes semblables à celles dont nous gémissons aujourd’hui. — Comme il vous plaira, mon digne mon-