Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/137

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cun a ses domaines aussi éloignés les uns des autres que l’Angleterre l’est de l’Allemagne… Ne déshonore donc pas, aigle illustre, la bannière du lion royal, mais laisse-la flotter paisiblement à côté de la tienne. »

Léopold laissa la bannière d’Angleterre, et se retourna pour chercher Conrad, mais il ne l’aperçut pas : le marquis, dès qu’il avait vu le scandale en bon train, avait eu soin de se retirer de la foule, et n’avait pas manqué de témoigner auparavant, devant plusieurs personnages neutres, son regret de voir l’archiduc choisir l’instant où il sortait de table pour se venger de l’outrage dont il croyait avoir droit de se plaindre. Ne voyant pas celui auquel il aurait voulu surtout s’adresser, l’archiduc dit tout haut que, n’ayant pas l’intention de susciter des dissensions dans l’armée des croisés, il ne voulait que constater ses privilèges, et le droit qu’il avait d’être sur un pied d’égalité avec le roi d’Angleterre, sans insister comme il aurait pu le faire pour planter la bannière des empereurs ses ancêtres au dessus de celle d’un simple descendant des comtes d’Anjou. Ainsi il se contenta de dresser la bannière ; après quoi il ordonna qu’on apportât sur le lieu un tonneau de vin, et qu’il fût mis en perce, pour régaler les personnes présentes. À l’instant même, au son de la musique, on se remit à boire autour de l’étendard autrichien.

Cette scène de désordre n’eut pas lieu sans être accompagnée d’un certain bruit qui alarma tout le camp.

L’heure était arrivée à laquelle le médecin avait prédit, suivant les règles de son art, que le roi malade pouvait être éveillé sans danger. Déjà on s’était servi de l’éponge dans ce but, et il ne fallut pas un long examen au savant Arabe pour assurer au baron de Gilsland que la fièvre avait entièrement quitté le souverain, et que telle était la force naturelle de sa constitution qu’il ne serait pas même nécessaire de lui donner, comme il le fallait presque toujours, une seconde dose de ce puissant remède. Richard lui-même parut être de cette opinion ; car se relevant sur son séant, et se frottant les yeux, il demanda à de Vaux quelle somme d’argent il pouvait avoir pour le moment dans ses coffres.

Le baron ne put au juste lui en dire le montant.

« Peu importe, dit le roi, forte ou faible, donne-la tout entière à ce savant médecin, qui m’a, je l’espère, rendu au service de la croisade… S’il s’y trouve moins de mille besants, ajoutes-y des bijoux pour compléter cette somme.