Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/317

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Les gens du marquis entrèrent effectivement et commencèrent à l’armer.

« Quel temps fait-il au dehors ? demanda Conrad.

— Le soleil s’est levé couvert d’un nuage, répondit un écuyer.

— Tu vois, grand maître, dit Conrad, rien ne nous sourit.

— Tu combattras à l’ombre, mon fils, répondit le templier ; rends grâces au ciel qui a tempéré le soleil de la Palestine, afin que cela te fût plus commode. »

Ainsi plaisantait le grand-maître ; mais ses plaisanteries avaient perdu toute influence sur l’esprit du marquis, et malgré les efforts qu’il faisait lui-même pour paraître gai, ce sombre abattement se communiquait au grand-maître. « Cette poule mouillée, pensa-t-il, se laissera vaincre par pure faiblesse et lâcheté d’âme, c’est ce qu’elle appelle des scrupules de conscience ; moi qu’aucune vision, qu’aucun augure ne peut émouvoir, moi qui suis ferme dans mes desseins comme le rocher, j’aurais dû soutenir le combat moi-même. Fasse le ciel que l’Écossais le tue sur la place ; c’est ce qui peut arriver de mieux après la victoire. Mais quoi qu’il arrive, il ne doit avoir d’autre confesseur que moi. Ses péchés sont les nôtres, et il pourrait confesser ma part avec la sienne. »

Tout en roulant ces pensées dans son esprit, il continuait en silence d’aider à l’armement du marquis.

L’heure arriva enfin ; les trompettes sonnèrent, les chevaliers entrèrent en lice armés de toutes pièces et montés comme des hommes qui vont combattre pour l’honneur d’un royaume. Ils avaient leurs visières levées, et firent trois fois le tour de la lice à cheval, se montrant aux spectateurs. Tous deux étaient de beaux hommes et avaient les traits nobles ; mais il y avait un air de confiance mâle sur le front de l’Écossais, et la sérénité de l’espérance y devenait presque de la joie : tandis que sur celui de Conrad, quoique son orgueil lui eût rendu une partie de son courage naturel, on remarquait de sombres nuages et un sinistre abattement. Son coursier même semblait fouler la terre d’un pas moins léger et moins joyeux au son de la trompette que le noble cheval arabe monté par sir Kenneth. Enfin le spruch sprecher secoua la tête en observant que, tandis que le poursuivant parcourait la lice en suivant le cours du soleil, c’est-à-dire de droite à gauche, le défendant faisait le même circuit widdersens, c’est-à-dire de gauche à droite, ce qui, dans beaucoup de pays, est regardé comme de mauvais augure.