Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/8

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gaîté de Le Sage et la caustique énergie de Fielding, la tentative d’un auteur entièrement étranger à un pareil sujet devait nécessairement produire un contraste défavorable. Le poète lauréat Southey, dans sa charmante histoire de Thalaba, avait aussi montré jusqu’à quel point un homme de talent pouvait se rendre familières, par la seule force de l’étude sédentaire, les antiques croyances, l’histoire et les mœurs de l’Orient, berceau du genre humain. Moore dans Lalla Roock avait suivi avec succès la même route, dans laquelle Byron, lui-même, joignant sa propre expérience à une longue étude, était entré pour quelques uns de ses plus charmants poèmes. En un mot, tant de livres avaient déjà été écrits sur l’Orient avec tant de succès, et par des gens qui connaissaient si bien la matière qu’ils traitaient, que je ne pouvais songer sans défiance à tenter la même voie.

Ces objections étaient bien puissantes, et la réflexion ne leur fit rien perdre de leur force, quoiqu’à la fin elles n’aient pourtant pas prévalu. D’un autre côté, on pouvait dire que, sans avoir l’espoir de rivaliser avec les contemporains que je viens de désigner, cependant il était possible que je vinsse à bout de la tâche que je me proposais, sans entrer précisément en concurrence avec eux : et cette dernière excuse emporta la balance.

L’époque qui se rapporte plus immédiatement aux croisades, et pour laquelle je me décidai à la fin, fut celle où le caractère guerrier, rude et généreux de Richard Ier, ce modèle de chevalerie avec toutes ses vertus exagérées et ses erreurs non moins absurdes, s’est montré en regard de celui de Saladin, époque où l’on voit le monarque anglais et chrétien montrer la cruauté et la violence d’un sultan d’Orient ; Saladin, au contraire, déployer la profonde politique et la prudence d’un souverain d’Europe, et tous deux en même temps chercher à se surpasser en qualités chevaleresques, en bravoure et en générosité. Ce singulier contraste offrait, selon moi, des matériaux pour un ouvrage de fiction d’un intérêt tout particulier. Un des personnages que je me proposai d’introduire sur le second plan, fut une parente supposée de Richard Cœur-de-Lion. Cette violation de la vérité historique a choqué M. Mill, l’auteur de l’Histoire de la Chevalerie et des Croisades, qui ne s’est point rappelé, je présume, que la composition d’un ouvrage d’imagination implique naturellement que l’on accorde à l’auteur le pouvoir d’une pareille invention, et que c’est là, en vérité, une des nécessités de l’art.