Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/82

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ténèbres, commet chaque jour les crimes les plus noirs, ceux qui révoltent le plus la nature ?

— La renommée n’accuse le grand-maître des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem ni d’hérésie, ni de magie.

— Mais n’est-il pas d’une avarice sordide ? n’a-t-il pas été soupçonné, et même plus que soupçonné d’avoir vendu aux infidèles des succès qu’ils n’auraient jamais obtenus par la force. Bah ! il vaudrait mieux trafiquer les intérêts de l’armée avec les matelots vénitiens, ou les colporteurs lombards, que la confier au grand-maître de Saint-Jean[1].

— Eh bien donc ! je n’en nommerai plus qu’un seul : que dit Votre Majesté du brave marquis de Montferrat, si sage et si brillant, et si habile homme d’armes ?

— Sage, c’est-à-dire rusé, répliqua Richard ; brillant, soit, dans la chambre d’une dame… Oh, oh ! qui ne connaît ce fanfaron de Conrad ? Politique et versatile, il change de dessein aussi souvent qu’il renouvelle la garniture de son manteau, et ce n’est jamais la couleur extérieure de ses habits qui vous fera deviner celle de la doublure… Un habile homme d’armes, dis-tu ? oui, vraiment, il monte bien à cheval, et se comporte noblement dans un champ clos, quand les épées sont émoulues et que les lances sont garnies de bois au lieu de fer. N’étais-tu pas avec moi, lorsque je dis à ce brillant marquis : Nous voici trois bons chrétiens, et je vois là-bas, dans la plaine, une soixantaine de Sarrasins : si nous allions fondre sur eux à l’improviste, ils ne sont que vingt infidèles et mécréants contre un loyal chevalier ?

— Je me le rappelle, le marquis vous répondit que ses membres étaient de chair et non de bronze, qu’il aimait mieux porter un cœur d’homme que le cœur d’aucun animal, fût-ce même d’un lion.

  1. En général, il est bon de se méfier des sorties que Walter Scott met dans la bouche de Richard contre les templiers. Il les a peints d’après les manuscrits des moines, les adversaires les plus implacables de ces chevaliers qui rapportèrent d’Orient la véritable doctrine du Christ, non telle que leurs ennemis l’ont faite, altérée, mutilée au gré des intérêts du sacerdoce, mais telle que Jean l’apôtre la conserva et la remit à ses disciples, dont les descendants la confièrent, vers l’an 1118, à Hugues des Païens, premier grand-maître des templiers ; doctrine dont l’influence devint la cause secrète de leur condamnation en 1514 ; doctrine sublime, pure de superstitions et de mensonges, et qui pourrait contribuer singulièrement à l’émancipation du genre humain. Une dernière preuve de la vertu des templiers, c’est que Richard Cœur-de-Lion ne voulut se confier qu’à des chevaliers du Temple pour revenir de Palestine en Europe. a. m.