Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/248

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une épître dont le style répondait au manque absolu d’orthographe. Ce retard augmenta plutôt qu’il ne diminua la curiosité secrète des habitués des Eaux, quoique en public ils déclamassent contre la grossièreté des manières de l’artiste.

En attendant, Francis Tyrrel, à sa grande surprise, commença, comme les philosophes, à s’apercevoir qu’il n’était jamais moins seul que dans la solitude. Partout où ses promenades le conduisaient, jusque dans les lieux les plus retirés où le guidait sa situation d’esprit, il était sûr de voir quelque rôdeur s’attacher à ses pas. Les efforts qu’il fit pour se soustraire à cette persécution, et l’impatience qu’il en montrait, n’aboutirent qu’à lui faire donner par ses voisins le nom de misanthrope, et à augmenter de plus en plus le désir qu’ils avaient de faire connaissance avec lui.

Un seul individu était peu pressé de voir le Timon supposé de l’auberge de Meg, et c’était M. Mowbray de Saint-Ronan. Le laird s’était assuré, par l’intermédiaire de Jean Pirner, qui accompagnait ordinairement Tyrrel pour lui montrer les meilleurs endroits de la rivière et pour porter son sac, que l’opinion de sir Bingo, au sujet du saumon, était plus exacte que la sienne. Il voyait donc avec satisfaction que le caractère rétif de Tyrrel empêchait la décision de la gageure, et se sentait en même temps un éloignement prononcé pour cet étranger, qui l’avait exposé à une méprise désagréable en ne prenant pas un saumon pesant une livre de plus.

Quoique les apparences fussent contre lui et qu’il fût naturellement enclin à la solitude, Tyrrel ne pouvait être accusé d’impolitesse, n’ayant point reçu les lettres auxquelles on lui faisait un reproche de n’avoir pas répondu. Nelly Trotter, soit qu’elle n’osât pas se représenter devant Meg Dods sans lui rapporter son dessin, soit qu’elle eût tout oublié sous l’influence du whisky, s’était rendue directement chez elle. De là elle avait transmis les lettres par le premier galopin qu’elle avait vu se diriger vers le vieux bourg, de sorte qu’elles ne parvinrent qu’après un long délai entre les mains de Tyrrel. Il s’empressa de faire connaître à ses voisins des Eaux la cause du retard dont il semblait coupable ; et, en leur témoignant combien il en était contrarié, il leur fit connaître son intention de dîner avec la société le jour suivant, regrettant que d’autres circonstances, jointes à l’état de sa santé et à sa situation d’esprit, ne lui permissent pas d’avoir souvent cet honneur durant son séjour dans le pays. Un post-scriptum assurait à sir Bingo le gain de son pari contre Mowbray.