Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/254

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laquelle assistèrent le capitaine Mac-Turc et M. Mowbray, et au déjeuner, la compagnie apprit que sir Bingo était depuis quelques semaines l’heureux époux de l’objet des prévenances générales ; et que des raisons de famille, qui avaient été un obstacle à leur bonheur mutuel et l’avaient obligé à tenir cette union secrète, venaient d’être enfin écartées. Malgré cela, lady Binks n’avait jamais pu se rappeler ces procédés sans éprouver un vif sentiment de dépit et de colère. De plus, la famille de sir Bingo avait contrarié le désir qu’elle avait manifesté d’être menée à sa terre. De là un nouvel échec pour son orgueil, et un nouveau sujet de mépris pour le pauvre baronnet, qui craignait de faire face à l’opposition de ses parents, et qui les redoutait comme un enfant, quoiqu’il n’eût jamais écouté un seul de leurs utiles conseils.

Les manières de la jeune dame n’avaient pas moins changé que son caractère, et, de trop légères et trop libres, elles étaient devenues réservées, maussades et hautaines. La conscience qu’elle avait des scrupules qui devaient écarter bien du monde de sa société lui inspirait une susceptibilité excessive. Elle s’était constituée maîtresse de la bourse de sir Bingo, et, n’étant nullement restreinte dans ses dépenses, elle cherchait, contrairement à la conduite qu’elle tenait étant demoiselle, à paraître plutôt riche et splendide que gaie, et à commander par sa magnificence l’attention qu’elle ne daignait plus solliciter en se rendant aimable ou amusante. Une source secrète de chagrin pour elle était la nécessité où elle se trouvait de montrer de la déférence à lady Pénélope Penfeather, dont elle méprisait le jugement et dont elle avait assez de pénétration pour juger et mépriser les prétentions. Cet éloignement pour lady Pénélope était d’autant plus pénible qu’elle se sentait sous la dépendance de Sa Seigneurie au sein de la société peu choisie des Eaux de Saint-Ronan : négligée par la reine de la coterie, elle eût été exposée, même en ce lieu, à descendre dans l’estime publique. Les prévenances de lady Pénélope envers lady Binks n’étaient pas non plus extrêmement cordiales : la première partageait l’éloignement ordinaire des vieilles filles pour celles qui, sous leurs propres yeux, font des alliances splendides… et elle faisait plus que soupçonner la haine secrète de la dame ; mais son nom résonnait bien, et le pied sur lequel lady Binks vivait faisait honneur à l’établissement : de sorte qu’elles satisfaisaient leur inimitié mutuelle en se lançant quelques traits malins de temps à autre, mais le tout sous le masque de la politesse.