Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/276

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est la maladie de l’âme, et sa compagne est la maladie du corps… elles sont sœurs jumelles, ô Frank ! et se trouvent rarement séparées pour long-temps. Quelquefois la souffrance corporelle vient la première, obscurcit nos yeux et paralyse nos mains avant que le feu de notre âme et de notre intelligence soit éteint… Mais remarquez ce que je vous dis… bientôt après vient sa cruelle sœur avec son urne fatale : elle répand une rosée glacée sur nos espérances et nos amours, sur nos souvenirs et sur nos sentiments : elle nous prouve que rien en nous n’est capable de survivre à la destruction de nos forces physiques. — Hélas ! s’écria Tyrrel, en est-ce donc venu à ce point ? — À ce point ! » répliqua-t-elle, parlant d’après la suite rapide et irrégulière de ses idées, plutôt qu’elle n’envisageait le sens de cette triste exclamation. « Oui, c’est à ce point que cela en viendra toujours tant que nos âmes immortelles seront unies à la substance périssable qui compose nos corps. Il est un autre état, Tyrrel, dans lequel tout sera autrement… Plût à Dieu que le temps fût arrivé pour nous ! »

Elle demeura un instant comme absorbée dans des pensées mélancoliques que Tyrrel craignit de troubler. La volubilité avec laquelle elle parlait n’indiquait que trop clairement le désordre de son âme. Frank se vit obligé de renfermer sa propre douleur de crainte d’ajouter encore au trouble de sa malheureuse amie.

« Je ne pensais pas, continua-t-elle, qu’après une si horrible séparation, et au bout de tant d’années, je pusse vous revoir avec tant de calme. Mais quoique ce que nous étions l’un à l’autre anciennement ne puisse jamais s’oublier, tout est fini aujourd’hui, et nous ne sommes plus qu’amis… n’est-il pas vrai ? »

Tyrrel fut incapable de répondre.

« Mais il ne faut pas que je reste ici jusqu’à ce que la soirée devienne plus sombre… Nous nous reverrons, Tyrrel… nous nous reverrons comme amis… rien de plus… Vous viendrez me voir à Shaws-Castle ?… Nous n’avons plus besoin de nous cacher maintenant… Mon pauvre père est dans sa tombe, et ses préventions dorment avec lui… Mon frère John est bon, quoique rude et sévère parfois ; en vérité, Tyrrel, je crois qu’il m’aime, bien qu’il me fasse trembler en fronçant le sourcil dans les moments où je suis en gaîté et où je parle trop… Mais il m’aime ; au moins je le pense, car très certainement moi je l’aime : c’est pour lui que j’essaie d’aller parmi ces insensés, et d’endurer leurs folies : tout bien considéré, je joue la farce de la vie admirablement bien. Nous ne sommes que