Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/310

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Mais Josiah Cargill fut moins heureux ou moins prudent. Sa belle écolière lui devint chère au plus haut degré, avant qu’il aperçût le précipice vers lequel il s’avançait, guidé par une passion aveugle et sans espoir. À vrai dire, il était absolument incapable de profiter des avantages que lui offrait sa position, pour entraîner son élève dans le piège où il était tombé lui-même. L’honneur et la reconnaissance lui défendaient de tenir une pareille conduite, quand même elle eût été compatible avec la timidité naturelle, la simplicité et l’innocence de son caractère. Soupirer et souffrir en secret, former sans cesse le projet de ne pas rester dans une situation si entourée de périls, et différer de jour en jour l’accomplissement d’une résolution si prudente, c’était tout ce dont l’instituteur se sentait capable ; et il est permis de croire que la vénération avec laquelle il regardait la fille de son patron, et l’impossibilité d’entretenir par la moindre espérance la passion qui le consumait, tendaient à rendre son amour encore plus pur et plus désintéressé.

Enfin, la conduite que la raison lui avait depuis long-temps prescrite ne put être davantage différée. M. Bidmore décida que son fils voyagerait pendant une année en pays étranger, et proposa à M. Cargill d’accompagner son élève ou de se retirer avec une pension convenable, récompense des peines qu’il s’était données. Il n’est guère possible de douter du parti qu’il devait choisir ; car, tant qu’il était avec le frère, il lui semblait n’être pas entièrement séparé de la sœur. Il était sûr d’entendre fréquemment parler d’Augusta, et de voir quelque partie du moins des lettres qu’elle écrirait à son frère ; il pouvait aussi espérer qu’elle ne l’oublierait pas dans ses lettres, qu’elle l’y nommerait « son cher ami, son bon instituteur ; » et son âme calme, contemplative, et cependant enthousiaste, voyait dans ces consolations une source secrète de plaisir, la seule que la vie paraissait lui réserver.

Mais le destin lui gardait un coup qu’il n’avait pas prévu. La chance qu’Augusta pouvait échanger sa condition de jeune fille contre celle d’épouse, bien que sa naissance, sa beauté et sa fortune rendissent un tel événement fort probable, ne s’était jamais présentée à son esprit ; et quoiqu’il eût bien réussi à se convaincre qu’elle ne pourrait jamais être sa femme, il fut néanmoins terriblement affecté en apprenant qu’elle appartenait à un autre.

Les lettres de l’honorable M. Auguste Bidmore à son père annoncèrent bientôt après que le pauvre M. Cargill avait été saisi