Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/349

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giques, elle les appliqua à Marie de Martigny et à son fils Francis Tyrrel. Jamais comte n’entra dans une colère pareille à celle de mon père, et dans la chaleur de la réplique, il adopta les expressions de ma mère, pour lui apprendre que, s’il y avait dans sa famille une c… et un bâtard, c’était elle-même et son enfant.

« J’étais déjà un petit gaillard intelligent, et ce propos de mon père me frappa ; mais il rentra aussitôt en lui-même. Peut-être se rappela-t-il qu’il existait dans les lois anglaises un mot tel que bigamie ; ma mère, de son côté, considéra les conséquences fâcheuses d’une transformation de comtesse Étherington en mistress Butler, ni femme, ni veuve, ni fille ; et il y eut une apparente réconciliation qui dura quelque temps. Mais le discours de mon père resta gravé dans ma mémoire. Un jour que j’exerçais sur mon ami Francis Tyrrel l’autorité d’un frère légitime, le vieux Césil, valet confident de mon père, fut si scandalisé, qu’il me prévint que nous pourrions par la suite changer de condition. Ces deux communications accidentelles me parurent une clef de certains sermons dont notre père avait coutume de nous régaler tous deux quand nous étions enfants, mais moi en particulier, sur l’extrême mutabilité des choses humaines. Toute cette éloquence me semblait de mauvais augure pour l’avenir ; et quand je vins en âge de prendre en mon particulier des renseignements, je demeurai encore plus convaincu que mon très honorable père avait conçu l’idée de faire une honnête femme de Marie de Martigny et un frère aîné légitime de Tyrrel, après sa mort du moins, sinon pendant sa vie. Ma conviction augmenta encore lorsque, à propos d’une petite affaire qui m’arriva avec la fille de mon gouverneur, mon père entra dans une violente fureur et m’exila en Écosse, où Francis devait m’accompagner, avec défense à moi de porter le titre de lord Oakendale, et ordre de me contenter du nom de mon aïeul maternel, Valentin Bulmer, celui de Francis Tyrrel se trouvant déjà occupé. J’osai répondre que, si je devais quitter mon titre, je croyais avoir le droit de conserver le nom de famille. Je voudrais que vous eussiez alors vu le regard de rage que me jeta mon père, à cette observation hardie. « Tu es… » dit-il, et il s’arrêta, comme pour chercher l’expression la plus amère qui pût remplir le blanc… « tu es le fils de ta mère et son parfait portrait… » Cela me parut le reproche le plus cruel qu’il m’eût jamais adressé. « Porte donc son nom, mais porte-le avec patience et discrétion ; sinon je te jure que tu n’en porteras jamais d’autre le reste de ta vie. » Ces mots me mirent un cadenas