Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/355

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« Là se brisaient donc toutes mes espérances. Il était clair comme le jour qu’un mariage secret, impardonnable d’ordinaire, deviendrait aux yeux de mon père un acte méritoire, s’il unissait son héritier à Clara Mowbray. Ainsi la catastrophe que je machinais comme devant exclure à jamais mon rival des bonnes grâces de son père, allait donner au comte un motif de plus pour me dépouiller en faveur de Francis. Je cherchai alors si le mal était absolument sans remède. Rien n’était plus facile que de faire échouer le projet de mariage ; mais cette alliance pouvait se conclure un jour sous les auspices de mon père. Dans tous les cas, le rôle que j’avais joué dans l’intrigue entre Clara et mon frère me montrait presque l’impossibilité de lui faire moi-même la cour. En cette perplexité il me vint une idée lumineuse : si je me faisais passer pour l’époux ? Il était facile de convenir du jour avec Clara et le ministre, car je menais toute la correspondance ; j’avais la taille et la tournure de Francis… Le déguisement que nous devions prendre… l’obscurité de l’église… la précipitation du moment, tout empêcherait Clara de me reconnaître. Quant au ministre, je n’aurais qu’à lui dire, quoique jusqu’alors je lui eusse parlé d’un ami, que j’étais moi-même l’heureux mortel. Mon premier nom était précisément celui de Francis ; et enfin Clara me semblait si séduisante, qu’avec la vanité d’un amoureux de seize ans, j’avais la confiance de croire que je réconcilierais aisément la demoiselle avec cette substitution.

« Enfin mon projet réussit. Nous montâmes en voiture ; mais à peine étions-nous à un mille de l’église, que mon malheureux frère, qui avait tout appris, arrêta de force la chaise de poste. Je voulus me jeter sur lui, mais je tombai à terre et la roue me passa sur le corps. Lorsque je revins à moi, j’étais étendu sur mon lit. Mon domestique Solmes, qui me soignait, me dit que la jeune personne avait été renvoyée par Francis chez son père ; Francis lui-même vint me visiter, et j’avais tellement perdu de sang, que je le reçus avec une espèce d’indifférence. Après avoir été long-temps sermonné, il obtint de moi deux choses, la première que nous nous dirions adieu pour toujours, la seconde que nous renoncerions tous deux à Clara. J’hésitai à cette dernière stipulation. « Elle était ma femme et j’avais droit de la réclamer comme telle. » Sur ce, nouveau déluge de reproches et de réflexions morales : il finit par m’assurer que, comme il y avait erreur de personne, l’union conjugale était nulle de plein droit. Quand Francis m’eut débarrassé de son insup-