Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/362

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je me soucie le moins du monde d’une chute comme celle-ci ? »

Mais tout en parlant ainsi il trébucha, et il fallut que le charitable étranger le saisît par le bras pour l’empêcher de tomber encore.

« Je crains que vous n’ayez plus de mal que vous ne le supposez, lui dit-il ; permettez-moi de vous reconduire jusque chez vous. — De tout mon cœur, quoique cependant je puisse m’en passer, » répondit Touchwood ; et il accepta sans plus s’en défendre le bras qu’on lui offrait, d’autant plus volontiers que le jeune étranger lui dit que son intention était de passer la nuit à l’auberge du vieux village.

Arrivé à la porte de mistress Dods, M. Touchwood eut besoin d’appeler long-temps et à grands cris avant qu’on vînt ouvrir ; et quand la servante arriva enfin, épouvantée peut-être de voir deux hommes dont l’un était couvert de boue des pieds à la tête, elle laissa tomber le chandelier qu’elle tenait à la main, pour s’enfuir à toutes jambes. Mais la porte était ouverte, c’était le principal : ils entrèrent donc, et pénétrèrent dans la cuisine. M. Touchwood, qui, sans oser le dire, prenait pour du sang l’eau croupie qui dégouttait de ses vêtements, s’empressa d’examiner s’il n’était réellement pas blessé, et il se trouva qu’il fut quitte pour la peur. Tout-à-coup on entendit résonner la voix de l’hôtesse : « Paresseuses ! drôlesses ! vilaines fainéantes ! criait-elle, oui-dà, un esprit !… Tenez bien la chandelle, John Ostler… je vous réponds que c’est un esprit à deux mains, et on a laissé la porte ouverte… Il y a quelqu’un dans la cuisine… marchez en avant avec la lanterne, John Ostler. »

En cet instant critique l’étranger ouvrit la porte de la cuisine, et vit la dame s’avancer à la tête de ses troupes. John Ostler et le postillon bossu, l’un portant une lanterne d’écurie et une fourche, l’autre une petite chandelle et un balai, formaient l’avant-garde. Mistress Dods elle-même était au centre, parlant haut et brandissant une pincette, tandis que les deux servantes, comme des troupes sur lesquelles il ne fallait pas beaucoup compter après leur récente défaite, suivaient à l’arrière-garde. Malgré cette admirable disposition, l’étranger n’eut pas plutôt montré sa face et prononcé les mots : « Mistress Dods… » qu’une terreur panique saisit toute l’armée. L’avant-garde recula en désordre, Ostler renversant l’hôtesse dans la confusion de la retraite ; celle-ci, non moins épouvantée que lui, l’empoigna par les cheveux, et tous deux entamé-