Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/381

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m’aurait peut-être rendue semblable à l’animal qui meurt sans peine sur la prairie où il trouvait sa chétive nourriture. Mais, hélas ! je suis née pour un sort plus élevé ; et ce souvenir fait de ma situation présente… de ma honte… de ma pauvreté… de mon infamie… de la vue de mes enfants expirants… de l’approche de la mort… un avant-goût de l’enfer. »

La dignité de lady Pénélope fut ébranlée par un si effrayant exorde. Elle tressaillit, elle frémit, et, pour la première fois de sa vie peut-être, elle éprouva le besoin véritable de porter son mouchoir à ses yeux. Lord Étherington aussi se sentit ému.

« Bonne femme, dit-il, soyez sûre que je prendrai soin de vos enfants, que je veillerai à vos besoins, et puisse vos chagrins en être allégés ! — Dieu vous bénisse, » répondit la pauvre femme en jetant un regard sur les malheureux enfants couchés à côté d’elle, « et puissiez-vous, » ajouta-t-elle après un moment de silence, « mériter la bénédiction de Dieu : car il la donne en vain à celui qui n’en est pas digne. »

Lord Étherington éprouva peut-être un remords de conscience, car il reprit avec un peu de précipitation : « Bonne femme, si vous avez réellement quelque chose à me déclarer, en ma qualité de magistrat, ne tardez pas… il est temps d’améliorer votre situation, et je vais donner l’ordre qu’on prenne de vous les soins nécessaires. — Encore un moment, dit-elle ; laissez-moi décharger ma conscience avant que je quitte la terre : aucun secours humain ne saurait prolonger ma vie. Je suis née dans une condition honnête… ma honte n’en est que plus grande… J’ai reçu une bonne éducation… ma faute n’en est que moins excusable… J’étais pauvre, à la vérité, mais je ne sentais pas les maux de la pauvreté ; je n’y pensais que quand ma vanité me créait des besoins factices et dispendieux ; car, pour des besoins réels, je n’en connus jamais. J’étais la compagne d’une jeune parente d’un rang plus élevé que le mien ; elle était d’une telle bonté qu’elle me traitait comme sa sœur, et qu’elle aurait partagé avec moi tout ce qu’elle possédait sur la terre. Je ne sais si je pourrai continuer mon récit… ma gorge se serre quand je pense comment j’ai récompensé cette tendresse de sœur… J’étais plus âgée que Clara… j’aurais dû la diriger dans le choix de ses lectures, éclairer sa raison : mais mon penchant me portait à ne lire que ces ouvrages qui, bien qu’ils outre-passent la nature, séduisent l’imagination. Nous lûmes ensemble ces livres extravagants, jusqu’à l’heure où, en nous forgeant un destin ro-