Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/385

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ner, et pourquoi il tenait à passer la soirée en tête à tête avec lui.

— Je ne puis m’empêcher de vous le répéter, disait Jekill, j’ai d’étranges pressentiments sur ce tête à tête avec Mowbray. Ménagez-le, milord ; il n’est pas en état de lutter avec vous les cartes à la main. — Allez lui dire cela, » répondit le comte ; son orgueil écossais prendra feu sur-le-champ, et il vous fera ses remercîments avec une balle de pistolet. Comment donc ! il fait le glorieux, malgré la leçon que je lui ai donnée… Le croiriez-vous ?… il a l’impudence de trouver mes attentions pour lady Binks incompatibles avec mes projets de mariage… Oui, Jekill, ce grossier laird écossais, à peine doué d’assez d’esprit pour faire la cour à une laitière, a la fatuité de s’afficher pour mon rival ! — Alors adieu pour lui au beau domaine de Saint-Ronan… ce dîner sera fatal… Étherington, je vois à votre rire que vous êtes décidé à consommer sa ruine… j’ai grande envie de lui en donner avis. — Cela me fera plaisir, répondit le comte, j’en aurai plus beau jeu. — Vous m’en défiez ! en bien, si je le rencontre, je lui dirai de se tenir sur ses gardes. »

Les deux amis se séparèrent, et Jekill, quelques moments après, rencontra Mowbray sur la promenade publique.

« Vous dînez avec Étherington aujourd’hui, lui dit le capitaine… permettez-moi, monsieur Mowbray, de vous dire un seul mot… Attention. — Attention ! et à quoi faut-il faire attention, capitaine Jekill, quand je dîne chez un de vos amis, et chez un homme d’honneur ? — Certainement, lord Étherington est l’un et l’autre, monsieur Mowbray ; mais il aime les cartes, et il est trop fort pour bien des gens. — Je vous remercie de votre avis, capitaine Jekill… Je suis, il est vrai, un Écossais novice, mais je sais une chose ou deux : on doit toujours présumer que deux hommes d’honneur, jouant ensemble, jouent franc jeu ; et ce point une fois établi, j’ai la vanité de penser que je n’ai pas besoin d’avis à ce sujet, pas même de ceux du capitaine Jekill, quoique son expérience puisse être bien supérieure à la mienne. — En ce cas, monsieur, » répondit Jekill en le saluant poliment, « je n’ai plus rien à vous dire ; J’espère que vous ne m’en voulez pas… »

Il continua sa promenade, et Mowbray se dirigea vers la demeure d’Étherington, dans une disposition d’esprit très favorable aux projets du comte, qui avait bien jugé son caractère en permettant à Jekill de lui donner l’avis qu’il avait si mal reçu. Être considéré comme un objet de compassion, s’entendre donner des avertissements paternels, c’était là un sujet de dépit et d’amertume qui